Cinéma Tests & Critiques 4

[Critique] Jupiter : Le Destin de l’univers

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Nous sommes le soir du Mercredi 4 Février, il fait froid et la pluie se fait plus fréquente dans la jolie ville de Lille. Une envie d’évasion, de rupture avec notre réalité parfois trop austère, se fait sentir. Nous passons devant les affiches de l’UGC et remarquons celle du film Jupiter Ascending (enfin plutôt « Jupiter : Le Destin de l’univers » puisque l’affiche est en VF) dont le trailer était plutôt fade. Boarf ! Ce n’est pas très grave, autant voir un film joli et divertissant, quitte à ce que la promesse philosophique et intellectuelle ne soit pas tenue. Et puis, qui sait ? J’en attends tellement peu qu’on pourrait avoir une bonne surprise. La fratrie Wachowski a-t-elle donc livré son nouveau Matrix ou un concurrent à Matrix 2/3/Speed Racer ?

 

Jupiter Jones (Mila Kunis) est une immigrée clandestine dont toute la famille russe vivote, tout comme elle, dans la ville de Chicago. Malgré les prédictions de sa tante fan d’astrologie et ses promesses de destin hors norme, ainsi que de grand amour, la belle doit se contenter de sa vie de femme de ménage éternellement célibataire. Une vie dont elle répète à l’envie qu’elle la déteste – et on la comprend -. Un jour, alors que son cousin magouilleur lui propose un plan pour se faire de l’argent en vendant ses ovules, elle découvre qu’elle est en fait de sang royal et que des extra-terrestres sont à ses trousses. Heureusement, le beau (?) et fort Caine Wise (Channing Tatum), ex-légionnaire, croisement génétique d’un homme et d’une sorte de loup, a été engagé pour la sauver, ce qu’il fait avec panache, chaussé de ses rollers anti-gravité et armé de son bouclier high-tech à base de champs de force. Mais ce n’est que le début d’une épopée fantastique dans un univers original peuplé de personnages forts, profonds et supérieurement intelligents, bien décidés à tirer profit de notre petite tête d’ange. Enfin il paraît…

 

L’Hoverboard, c’est has-been. Place aux rollers volants ! Youhou !

 

Avis de recherche : perdu le « 2. » de « Originalité 2.0 »

 

Le scénario est classique, basé sur le fameux monomythe et forcément rappelant plus d’une fois Star Wars dont l’évolution et énormément de phases sont reprises. En effet, le spectateur est pris par la main en suivant un personnage ignorant tout des enjeux auxquels il va prendre part, ce qui permet, évidemment, d’expliquer cet univers inconnu sans s’appuyer sur des dialogues hors de propos. Ça, c’est pour la partie « A+ » de la notation ardue du film. Ardue, cette notation l’est car, comme vous le dira n’importe quel professeur, il est compliqué de noter un devoir manifestement copié en partie (par exemple sur Wikipédia). Le scénario est tellement convenu et les dialogues tellement plats qu’on peut les citer à quelques mots près avant même qu’ils ne soient prononcés par les personnages. Je ne parle pas des situations (ce serait normal puisque c’est le monomythe mis en images) mais bien des dialogues. Bon, ok, j’avoue : c’est un peu exagéré. Il est vrai que je n’avais pas imaginé bon nombre d’inepties racontées çà et là mais il ne s’agit que des explications pseudo-scientifiques pour justifier tel ou tel ressort de narration ou de blagues qui tombent à plat.

 

Si la platitude du scénario était le seul problème de Jupiter Ascending, toutefois, j’aurais assisté à ce que j’attendais : un blockbuster un peu idiot mais divertissant et apportant un peu de fraîcheur. Sauf que voilà, c’était sans compter sur la myriade d’autres épaves de navires plantées dans la carapace de l’Île Vagabonde (dans cette image, la grosse tortue représente le film… Suivez un peu, c’est pénible). Les Wachowski se sont tellement « appuyés » sur leurs références qu’elles en perdent ce statut et deviennent de simples sources de plagiat. Là où les références multiples de Matrix avaient été digérées puis réutilisées plus ou moins intelligemment dans un film (en grande partie) cohérent et appréciable, celles de Jupiter Ascending se contentent de se juxtaposer les unes aux autres de façon aléatoire en criant « Regardez-moi ! Je suis une référence que le public a aussi, aimez-moi ! ». On se retrouve ainsi avec des Gundam au milieu de plans piqués à Star Trek, Star Wars ou repris de Matrix (si, si, vous verrez, ils ont posé Zion en plein milieu du reste dans le film, comme ça, c’est cadeau). Et puis, lors d’une séquence censée détendre l’atmosphère et provoquer des éclats de rire, on tranche le tout en passant de visuels fluos et flashy à une administration pompée de Brazil. Mais là, au moins, on peut supposer qu’ils ont eu l’accord de Gilliam puisqu’il… Joue dedans ?!? Attends, Terry, tu nous fais quoi là ? T’es à la rue ? T’as besoin de thunes ? Monte un kickstarter, promis on t’aidera mais, pitié, arrête les caméos foireux !

 

« Coucou, tu veux voir mes boobs ? »

 

Bref, pas un plan n’est original. C’est beau, là n’est pas le problème mais quand le scénario est un « been there, done that », on attend au minimum un peu de créativité visuelle, surtout venant de ces deux-là. Là, il n’y en a pas. A moins qu’on ne passe le patchwork au rang de créativité artistique révolutionnaire. A ce moment-là, oui, Andy et Lana innovent en reprenant des tas de trucs et en les assemblant en nouveaux bidules branlants et moches à l’image de la tenue de Tatum ou des chasseurs de primes si « originaux » du début du film. Même le grand méchant – parce qu’il y a plein de petits méchants mais, évidemment, il faut un méchant plus méchant que les autres méchants – est un mélange de Loki, de Zod (le méchant dans The Fifth Element pour ceux qui ne suivent pas) et de toute la tradition des méchants précieux, machiavéliques et maniérés auxquels on aurait retiré tout charisme et toute crédibilité.

 

Une histoire de désamour des personnages

 

Eddie Redmayne, l’acteur incarnant ce méchant – Lord Balem – est simplement insupportable de médiocrité dans ce rôle. Je ne veux pas dire qu’il est un mauvais acteur car c’est le premier rôle dans lequel je le vois et force est de constater qu’aucun acteur n’arrive à tirer son épingle du jeu dans ce crash intersidéral, ce qui rend tout jugement sur les capacités des uns et des autres impossible. Ni Sean Bean – qui joue l’ex-mentor de Caine en mode pilotage automatique -, ni les deux acteurs principaux, ni Tuppence Middleton dans son rôle d’héritière et sœur de Balem faussement intrigante, ni Douglas Booth, le 3e héritier (mais là, j’ai envie de dire que ce n’est pas très étonnant) n’y arrivent. Est-ce à dire que les acteurs sont mauvais ? Que nenni ! Seulement, comment offrir une bonne performance sur des rôles écrits avec les pieds ? Les frère et sœur Wachowski ont réussi l’exploit d’écrire des personnages moins profonds que les archétypes qu’ils sont censés incarner. Le rôle de chacun est très clair, du cousin rigolo parce qu’arnaqueur à la responsable d’une unité de police au cœur d’or coincée par le règlement en passant par la blonde écervelée et vénale (qui ne sera présente que pour une scène extrêmement maladroite où les réalisateurs semblent avouer leur incompréhension du trope représenté). Sauf que ça ne prend jamais. Les sbires de Lord Balem semblent tout droit sortis d’un téléfilm italien de seconde partie de soirée, la famille russe passe son temps à balancer des « par les couilles de Staline ! » – parce que, c’est bien connu, tous les russes font ça -, les méchants n’ont aucune subtilité, etc. Même l’histoire d’amour entre Caine et Jupiter, pourtant centrale dans ce space opéra qui n’en garde que l’ambition, est affreusement ratée. Je ne sais pas si vous vous souvenez de la relation Neo/Trinity dans Matrix. Cette fameuse romance qui transcendait jusqu’à la vie elle-même mais qu’on ne palpait jamais dans le film, heureusement aidés par les phrases prononcées et ces séances de succion de visages opérées à partir du 2e opus (ainsi que la très très bizarre scène de sexe). Eh bien, ici, on a le même souci : aucune alchimie entre les personnages. Le spectateur est forcé de croire sur paroles les protagonistes qui, eux, ont deux lignes de dialogue désincarné pour exprimer leur amour si fort.

 

Plus de passion, je veux sentir l’amour ! Non ? Bon, tant pis, on fera avec…

 

Jupiter : Le Gadin de l’univers

 

Jupiter Ascending est d’autant plus frustrant qu’il est ambitieux. A plusieurs reprises, on se prend à avoir un regain d’intérêt lorsqu’une lorgnette est levée sur une partie de l’univers ayant du potentiel. Malheureusement, la porte prometteuse nous est aussi vite refermée sur le coin de la trogne. C’est le cas lorsqu’on évoque les jeux de pouvoirs entre la famille des méchants et leurs concurrents ou lorsque le passé de Caine est évoqué, tout comme sa haine du sang noble « inscrite en lui », pour être tout aussi vite balayée d’un revers de la main avec des niaiseries à la « oui mais toi ma princesse des lacs gelés du désert de Gobi, c’est différent, je teuh aimeuh ». Des tonnes de questions se posent dans nos esprits et on ne peut s’empêcher de se demander si les réalisateurs y ont au moins pensé. Par exemple : pourquoi les races extra-terrestres sont toutes à la solde des humains (que ce soient les p’tits hommes verts fans de loupiotes, les hybrides, les lézards ailés) ? Est-ce ainsi dans tout l’univers ou est-ce particulier à cette zone ? D’ailleurs, quelle est cette zone ? Les puissants se répartissent-ils les planètes en fonction des galaxies ? Qui sont les clients ? Pourquoi, dans tous ces environnements immenses, ne croise-t-on qu’une poignée de pécores ? Pourquoi est-ce que tout le monde se fout de la police mais l’utilise quand même comme menace ? Si la seule « denrée » qui pose problème est le temps (tiens, encore lui), comment s’organisent-ils pour les autres ? Ont-ils des planètes entières juste pour générer de la nourriture ? Pourquoi les Veilleurs n’utilisent-ils pas leurs pouvoirs sur la mémoire pour prendre le contrôle ou, au moins, se rebeller ? Des questions comme celles-là, il y en a des tonnes. Et c’est bien dommage parce que, si l’on prend le temps de se les poser, c’est bien que l’univers aurait pu être intéressant avec un tout petit peu plus de travail.

 

Les Wachowski ou l’ambition du génie

 

Mais non, tout ça, les Wachowski s’en foutent. Ils utilisent ce background foisonnant uniquement pour donner l’impression que tout est pensé. Et c’est là un des plus gros problèmes de Jupiter Ascending. Que dis-je ? Un des plus gros problèmes de leur filmographie. On l’avait déjà imaginé, sans trop y croire, dans Matrix, on en avait été témoin dans Cloud Atlas et Jupiter Ascending le confirme : les Wachowski veulent avoir l’air d’intellectuels maniant des concepts de haut vol et les vulgarisant pour la masse, Ô grands seigneurs qu’ils sont. Sauf que non, c’est raté sur toute la ligne. Les dialogues censés être « intelligents » sont risibles de bout en bout et aucun enjeu n’est vraiment novateur, ni même excitant. D’ailleurs, tant qu’on parle des problèmes communs avec Cloud Atlas, il faudrait vraiment qu’ils changent d’équipes de maquillage, c’est ridicule. Cette fois-ci, c’est surtout le maquillage de Tuppence Middleton en version âgée qui est raté. On n’y croit pas une seconde, ce n’est pas du vieillissement, c’est juste moche. Enfin bref, revenons en aux problèmes un peu moins cosmétiques. Vous pourriez douter de cette volonté d’impressionner par la puissance supposée (je dirais même hypothétique) des hémisphères cérébraux des réalisateurs. Sauf que voilà, outre leurs interviews et autres « inside looks » bourrés de branlette intellectuelle au ras des pâquerettes, on a assisté à la pire idée de campagne de pub pour ce film, uniquement basée sur cette ambition. Les festivaliers de Sundance – festival des films indépendants se déroulant chaque année dans l’Utah et connu pour mettre en avant des films exigeants sur le plan intellectuel ou prenant beaucoup de risques scénaristiques – se sont vus, pour certains, invités à une séance secrète sans qu’on leur dise à quelle projection ils allaient assister. Je vous le donne en mille, il s’agissait du film qui nous occupe aujourd’hui. Était-ce vraiment la meilleure cible ? Non. D’ailleurs, les réactions ont été très négatives et le film a été l’un des très rares à ne recevoir aucun applaudissement à la fin de la séance. Il faut dire que beaucoup de spectateurs avaient déjà quitté la salle depuis belle lurette.

 

Lord Balem ou le méchant le plus raté de l’histoire des grands méchants maniérés

 

Le véritable ennemi du bien n’est pas le mieux mais le plus

 

Plus d’effets spéciaux, plus de temps à regarder Tatum faire du patin à air (c’est comme le patin à glace mais en volant – pardon, en déviant la gravité *soupir*), plus de mots savants (mal utilisés), plus de races dans tous les sens, plus de références cinématographiques, plus de dialogues creux, plus de personnages secondaires clichés, plus de méchants et plus de gentils, plus, plus, plus et toujours plus. Le seul truc qu’il y a en moins, c’est l’intérêt. Prenons un exemple tout bête : la scène de poursuite/baston entre Caine et les vilains pas beaux chasseurs de prime dans Chicago. C’est nerveux, c’est rapide, c’est bien. Non, franchement, ça part bien. C’est d’ailleurs le gros point fort du film : les scènes d’action sont plutôt classes en général. Et puis on décide d’en faire encore plus des tonnes sur les acrobaties du lycanthien (c’est le nom des hybrides loups/hommes comme Caine Wise) qui se met à faire 5 tours d’un monument absolument sans raison et à zigzaguer entre des portes de ski imaginaires. Le seul résultat de ce surplus, c’est que ça casse le rythme de la scène et qu’on s’ennuie. Je vous jure que, dans la salle, c’est à ce moment précis que j’ai commencé à entendre des soupirs d’agacement tout autour de moi. Pourtant, on avait déjà eu droit aux 20 minutes d’introduction à l’intérêt discutable…

 

Pareil pour les références. J’aime bien les petits clins d’œil normalement mais là, il y en a beaucoup trop, pour rien et, surtout, bien trop appuyés. Et vas-y que je te mets des crop circles ici. Et prends donc un peu de Men In Black dans ta face, suivi de Cendrillon. Oh, en cadeau, je vous sers du Godzilla. Vous me direz « on s’en fout, c’est cool les références. » Oui mais c’est trop, beaucoup trop ! Le problème des références – surtout quand elles sont lourdes et mal intégrées -, c’est qu’elles vous ramènent à votre place de spectateur (plus ou moins cinéphile) regardant un produit et vous extirpent ainsi de l’univers dans lequel ledit produit est censé vous plonger. Si bien qu’on n’entre jamais dans l’univers de Jupiter Ascending. De plus, les nombreuses incohérences n’aident pas puisqu’en voulant mettre plus de justifications (comme la reconstruction quasi instantanée d’une ville après une baston), on crée des brèches immédiatement (ok, mais les morts?) ou plus tard dans le film (pourquoi ne pas reconstruire par magie ce que Caine casse à coup de Gundam au lieu de le laisser exploser et ruiner Balem ?). La suspension consentie de l’incrédulité ne peut fonctionner que si on tente d’incorporer le spectateur au film, pas si on lui rappelle en permanence qu’il est dans son siège. Mais, rassurez-vous, je ne vais pas vous faire une liste des incohérences sinon je serais dans l’obligation de publier un bouquin ! Rien que leur bullshit qui se contredit en deux minutes sur les récurrences… Non mais je ne dis rien, promis.

 

Désolé Monsieur mais le casting pour Warhammer, c’est le studio d’à côté.

 

TL;DR

 

Jupiter : Le Destin de l’univers se vautre dans son ambition d’être le nouveau Star Wars, la nouvelle référence du space opéra, en ne faisant preuve d’aucune initiative, d’aucune originalité et en repompant tout sur des « valeurs sûres » sous couvert de références. Un scénario vu et revu, couplé à une direction d’acteurs médiocre et à des personnages catastrophiques, le tout dans une critique du capitalisme digne d’un enfant de CM1, feraient de ce film un navet absolu s’il n’était pas repêché par des scènes d’action plutôt efficaces et des visuels léchés bien que manquant d’originalité. Je ne peux que vous conseiller d’éviter de le voir au cinéma. Si vous êtes curieux, attendez la sortie Pirate B… DVD ! La sortie DVD.

Echec stellaire

Des scènes d'action plutôt efficaces et une photographie appréciable ne suffisent pas à rattraper la qualité désastreuse de ce space opéra raté à tous les niveaux et dont nombre d'éléments sont de simples copies d'autres œuvres.

3
Note finale:
3

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4 Comments

  • Reply
    Kyra
    06 Fév 2015 12:34

    C’est vrai que, déjà, avec la bande-annonce, le film m’avait l’air naze (même s’il ne faut jamais se fier aux bande-annonces dit-on). Mais là, il comporte visiblement tous les ingrédients que je déteste dans les grosses productions. Dommage, le grand méchant est un bon acteur.

  • Reply
    Kyra
    06 Fév 2015 12:37

    J’aime beaucoup : « Désolé Monsieur mais le casting pour Warhammer, c’est le studio d’à côté ».

  • Reply
    Eskarina
    06 Fév 2015 12:56

    Le trailer avait l’air bien mais fleurait déjà l’arnaque.
    À voir un dimanche aprèm de lendemain de beuverie, vautré dans son canap. Peut-être.

  • Reply
    Kyra
    06 Fév 2015 1:03

    Peut-être. En streaming, à la rigueur.

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