Lectures 3

Les royaumes d’épines et d’os ~ Greg Keyes


« Je voudrais un bon gros roman de fantasy, dans le style des légendes arthuriennes… » Voilà comment mon libraire en est venu à me conseiller la quadrilogie de Greg Keyes : Les royaumes d’épines et d’os.

Les royaumes d’épines et d’os est une quadrilogie de près de 3000 pages qui se présente sous les titres suivants : Le Roi de bruyère, Le Prince Charnel, Le Chevalier de sang et La Dernière Reine.

Le nom de Greg Keyes ne vous dira peut-être rien. Ce n’est en effet pas l’un des noms les plus populaires de la fantasy et, en la matière, le bagage de cet auteur peut sembler plutôt maigre si on le compare à d’autres.

Outre la saga dont je vais vous parler, l’écrivain s’est déjà consacré à d’autres séries de livres plus ou moins célèbres et plus ou moins licenciées. C’est ainsi qu’il a voué quelques tomes à l’univers de Star Wars, ou celui de Babylon 5, et qu’il a mis sur pied un autre quadriptique, un peu plus connu : L’âge de la déraison. Cette uchronie se déroule au XVIIè siècle de notre ère. Greg Keyes s’amuse à nous faire croire qu’à l’époque, les scientifiques sont parvenus à maîtriser l’éther, bouleversant ainsi toute notre histoire. Il fait ainsi intervenir à travers de surprenantes aventures d’illustres personnages tels que Louis XIV, toujours en vie grâce à un élixir de jouvence persan, Isaac Newton ou encore Benjamin Franklin.

Les royaumes d’épines et d’os est à des lieues du domaine de prédilection de Greg Keyes qu’est, vous l’aurez deviné, la science-fiction.

En effet, les quatre tomes qui nous intéressent nous plongent dans une fantasy très pessimiste (les titres en témoignent) où le royaume de Crotheny est englouti dans un cauchemar grandissant. Tout un peuple, jusque là paisible et uniquement remué par les chamailleries des différents royaumes existants, assiste à l’avènement imprévisible d’un nouveau monarque : le Roi de Bruyère. Pour une raison que nos héros ignorent mais qu’ils commencent à saisir, cette entité maîtresse de tout ce qui vit et de tout ce qui meurt surgit du cœur de la forêt et, furieuse, détruit tout sur son passage. Parmi les protagonistes vous retrouverez  Aspar le verdier, responsable de la forêt, un homme solitaire et abrupt qui fera tout pour accomplir son devoir de garde-forestier. Anne, une jeune princesse capricieuse qui se voit attribuer du jour au lendemain de terribles responsabilités. Neil, un chevalier bringuebalé par différentes intrigues que ses obligations ne lui permettent pas toujours de maîtriser. Ou encore Leoff, un musicien qui découvre que de ses doigts peut naître une musique aux surprenants pouvoirs… Ce ne sont que quelques exemple de l’énorme fresque de visages et de personnalités de ce cycle romanesque. Magie, amour et horreur sont les principaux ingrédients de cette série surprenante dont je vous laisse découvrir l’aventure.

Le style d’écriture de Greg Keyes donne un ton tout particulier à notre lecture. Je n’ai ainsi pas été immédiatement transportée par son univers et le premier tome (Le Roi de bruyère) m’avait laissée dans l’expectative. Malgré cela, au fond de moi, quelque chose me poussait à vouloir continuer ma lecture. La plume de l’auteur est assez lourde et prend le temps de mettre les choses en place, ce qui pourrait déplaire à certains. Il m’a fallu attendre le deuxième tome (Le Prince Charnel) pour être convaincue de lire les deux derniers exemplaires et pour réaliser que Greg Keyes avait réussi son pari : si j’étais plutôt de marbre à la fin du tome I je me suis tout de même laissée transporter, presque sans m’en rendre compte, vers la suite et la fin de cette saga.

La façon qu’a le romancier de reprendre des mythes existants et de les remanier « à sa sauce » est plaisante. Ainsi, il nous met en terrain connu avec des créatures semblables à des griffons, qu’il renomme « greffyns ». Voilà un exemple parmi tant d’autre qui nous plonge dans un monde à la fois nouveau et familier. Greg Keyes ne s’est pas contenté de modifier quelques lettres d’un nom pour créer un concept qui, au fond, n’est pas vraiment le sien. A la façon d’un Tolkien, il a également créé ses propres langages comme le vitellien, très proche de l’italien. Sans prévenir, et sans traduire, il fait parler ses personnages dans une langue que l’on ne connaît pas mais dont on arrive à décrypter les codes parce qu’elle ne nous est pas si inconnue qu’elle y paraît. L’auteur nous incruste sans ménagement dans son histoire, sans prendre de pincettes. En cela, il m’a beaucoup fait penser à Frank Herbert : il nous délivre tout un macrocosme et sa mythologie sans prendre le temps de nous en expliquer les prémices. Il nous faut faire l’effort de comprendre par nous-mêmes, au fur et à mesure, ce qu’est un greffyn, qui sont les Hansiens, ce qu’est un Graf, une féalité, et tous ces autres termes que l’on déchiffre au fur et à mesure.

Greg Keyes prend le temps de faire monter son roman en puissance. L’action se révèle lentement, et c’en est parfois déstabilisant. En effet, dans un mouvement presque contradictoire, il nous livre tout à la fois une création fourmillante de concepts, mais nous donne au compte goutte les clés de son intrigue.

Il faudra donc être patient pour savoir apprécier cette écriture à contre-temps qui prend toute sa saveur au cours du deuxième tome.

En tant que grande lectrice de Robin Hobb habituée aux péripéties qui ricochent sans arrêt (peut-être un peu trop), j’ai ici été amenée à prendre mon temps, et cela m’a parfois déstabilisée. Je n’en ai pour autant jamais été découragée. Ainsi, on est emporté sans le vouloir et on prend plaisir à voir se construire et se révéler à nous la psychologie complexe et travaillée des personnages, l’histoire fouillée et pleine de rebondissements, du premier au dernier tome, et la franchise d’un écrivain qui n’a pas peur de transformer les plus blancs des héros en personnages sombres et antipathiques. Torturés, transformés par l’obscurité grandissante qui s’empare d’eux, les protagonistes et l’univers se métamorphosent sous nos yeux, grandissent, meurent, et parfois reviennent d’entre les morts dans une trame qui sait mêler le beau et le rassurant au hideux et à l’inquiétant. Je suis ressortie de cette lecture convaincue, mais sans réellement savoir dire pourquoi. J’ai tout de même ici essayé de vous traduire ici de mon mieux mes impressions et mes mises en garde.

En quelques mots, Greg Keyes a su donner des airs parfois lovecraftiens à une fantasy que l’on peut trouver souvent trop propre et naïve. C’est un type d’exercice qui pourra donc combler tout autant que décevoir les personnes peu averties.

Pour conclure : si vous êtes un « petit » lecteur, ou un grand impatient, passez votre chemin. En revanche, Les royaumes d’épines et d’os est une œuvre de premier choix pour les bouquineurs assoiffés de dark fantasy, tout autant que pour les fanatiques de fantasy qui voudraient goûter à un penchant plus sombre du genre. En cela c’était une première pour moi qui touchais avant tout au penchant le plus « classique » de cette littérature. La touche très particulière propre à Greg Keyes et transposée sur son univers, ses personnages et son intrigue ont su me convaincre et me transporter ; je souhaite qu’il en soit de même pour vous !



Des couvertures très sombres, chevaleresques et végétales



La quadrilogie est aisément dénichable. Comptez une dizaine d’euros par tome.

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3 Comments

  • Reply
    Wil
    23 Fév 2010 1:05

    J’ai lu les 4 et oui c’est très bon à part (spoiler) :p . Les deux premiers sont géniaux en tout cas.

  • Reply
    Eskarina
    23 Fév 2010 1:28

    Tiens c’est amusant, moi j’ai préféré les deux derniers !

    Mais c’est vrai qu’ils sont beaucoup plus sombres, et qu’on se familiarise mieux avec les personnages dans les tomes 1 et 2.

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