Jeux Tests & Critiques 2

[Test] Keyflower

Keyflower

Rappelez-vous la colonisation de l’Amérique par les européens. Ah quelle grande époque vivaient-ils ! Des bateaux entiers venus du Vieux Monde pour copier son organisation, ses rites et ses infrastructures sur une terre pourtant presque vierge et donc ouverte à toutes les possibilités. Bon ok, il y avait bien des indiens qui n’avaient d’indien que le nom que d’autres européens avaient bien voulu leur donner mais ce n’est qu’un détail qui a tôt fait d’être résolu par de subtiles manœuvres pas du tout discutables sur le plan éthique. D’ailleurs c’est tellement un détail qu’on n’en parlera pas aujourd’hui. Et pour cause : le jeu de plateau que je me propose de vous faire découvrir ne se nomme pas Mayflower mais Keyflower ! Il n’empêche que je suis prêt à parier que je ne suis pas le seul à avoir fait le rapprochement. Peut-être même était-ce voulu de la part des auteurs. Mais cessons donc ces circonvolutions sur la volonté ou non de Sebastian Bleasdale et Richard Breese et intéressons-nous plutôt au jeu du jour. C’est parti pour une ribambelle de décisions et de non moins nombreux « coups de pute » – comme on dit chez les joueurs aguerris – dans le monde merveilleux de Keyflower.

 

Keyflower est un jeu de gestion, d’enchères, de réflexion, de « tactique » (au sens des tactiques commerciales ou des stratégies d’entreprise plus que militaire) bref un jeu complet. Les règles sont assez simples contrairement à l’image qui se dégage du livret de règles pour le coup très fourni et surtout permettent une souplesse de jeu que j’avais rarement vue jusque là. Les possibilités sont presque infinies pour construire votre village et maximiser vos points de victoire et c’est cela qui rend le jeu intéressant. Mais commençons par voir comment tout cela fonctionne.

 

Non, ceci n’est pas une reproduction d’une cérémonie militaire en Corée du Nord mais bien le contenu de la boîte de jeu

 

Concerto n°1 en mi majeur, op.8, RV 269, « La primavera »

 

La partie se déroule sur une année découpée – fort logiquement – en 4 saisons (oui, pour une fois l’intertitre est un peu tiré par les cheveux… Si si, pour une fois seulement). Lors de chacune de ces saisons, les joueurs participeront à des enchères sur les tuiles placées au milieu de la table et donc disponibles à l’acquisition, ainsi qu’à des enchères sur l’ordre de choix des bateaux dont ils récupéreront le contenu à la fin de la saison. « Des bateaux ? Mais pourquoi des gros bordels ambulants marins pour bâtir un village terrestre ? » Tout simplement pour récupérer des meeples (aussi appelés « pions ouvriers » par nos amis allergiques au terme meeple) et des compétences qui sont à bord. Et pour coller au titre aussi. Un peu. Accessoirement (ou non), c’est aussi en choisissant l’ordre des bateaux qu’on déterminera quel joueur commencera la saison suivante. Il est à noter que seul le premier joueur sera déterminé et que le reste de l’ordre de jeu se fera dans le sens des aiguilles d’une montre. Ce système se rapproche donc plus du jeu Citadelle que de celui de Caylus. Si vous pouvez enchérir sur différentes tuiles, c’est également au cours de chaque saison que vous pourrez activer les tuiles pour créer des ressources ou récupérer des compétences par exemple.

 

Au début de la première saison, à savoir le printemps, chaque joueur se voit attribuer une tuile « Home » qui constituera la première tuile de son village et qui comporte un numéro ainsi que deux types de compétences : une capacité de déplacement et une capacité d’amélioration de tuile. Chaque activation de la Home (ou d’une tuile fonctionnant de la même façon) donnera donc au joueur la possibilité de déplacer ses ressources ET d’améliorer une ou plusieurs tuiles (en fonction du nombre de maisons dessinées). Le joueur avec la Home au plus petit numéro sera le premier à jouer. Chacun recevra également trois tuiles qu’il devra cacher aux autres joueurs et dont on reparlera un peu plus tard ainsi que 8 meeples tirés au hasard dans le sac. Ensuite, un nombre de tuiles déterminé par le nombre de joueurs est tiré au hasard dans la pile des tuiles « Printemps » pour être déposé au milieu de la table. Dans le même temps, il sera placé sur la table un nombre de bateaux égal au nombre de joueurs ainsi qu’un certain nombre de tuiles « Ordre de tour » qui serviront à déterminer l’ordre de choix des bateaux ainsi que l’ordre de jeu pour la saison suivante. Le tour peut ensuite commencer.

 

La saison de l’été est prête. A vos meeples !

 

Si la préparation de l’Été et de l’Automne demandent également de tirer un nombre de tuiles au hasard dans la pile correspondante pour les disposer au centre de la table, celle de l’Hiver est quelque peu différente. En effet, chaque joueur devra choisir au moins une des trois tuiles qui lui ont été attribuées face cachée au début du Printemps pour qu’elle rejoigne le milieu de la table et que sa possession soit conséquemment mise aux enchères. Ce sont donc les joueurs qui font l’Hiver plus que le hasard et ça tombe bien puisque c’est la dernière saison, la plus stratégique en ce que c’est là que chacun devra finaliser sa stratégie pour marquer le plus de points possibles.

 

Gimme, gimme, gimme meeples to pay for stuff

 

Quelle que soit l’action que vous allez vouloir effectuer, il vous faudra utiliser des meeples. En effet, ils sont aussi bien utilisés comme monnaie pour enchérir sur des tuiles que vous voulez récupérer que pour activer les « pouvoirs » de chaque tuile. C’est pour cela que vous en récupérerez entre chaque saison sur les fameux bateaux. Vous pouvez également en récupérer via certaines tuiles que je ne vous détaillerai pas puisque chaque tuile est différente et qu’il n’est pas question d’en faire ici un catalogue. Lors des phases de jeu, chacun devra effectuer une action à la fois avant de passer la main au joueur suivant – d’après l’ordre de tour évidemment. Au choix, vous pourrez donc enchérir en plaçant un certain nombre de meeples d’une seule et même couleur sur votre côté d’une tuile au centre de la table (chaque joueur fera ses enchères automatiquement sur le même côté de tuile, décidé au départ, du début à la fin de la partie, ceci afin d’assurer une lisibilité correcte du jeu) ou activer une tuile en y plaçant un ou plusieurs meeples. Attention toutefois : tous les meeples joués sur une tuile (que ce soit pour les enchères ou pour l’activation) doivent être de la même couleur, celle déterminée par le premier meeple posé sur/à côté de ladite tuile. C’est là qu’intervient la tactique puisqu’il vous faudra utiliser vos ouvriers au mieux pour optimiser votre chance de récupérer une tuile tout en abaissant le pouvoir d’ingérence des autres joueurs. Il vous faudra donc choisir avec précaution la couleur utilisée tout en vous souvenant de la quantité de pions de chaque couleur que chacun de vos adversaires possède !

 

« Pas bien : y a des meeples de couleurs différentes sur une tuile ! »
Bien vu. Mais là, c’est une exception car le bateau donne ce pouvoir.
Oui, il y a des exceptions et des contre-règles, c’est rigolo !

 

« Se souvenir ? Non, je regarde moi, je ne suis pas bête. » Bien essayé mais chaque joueur dispose d’un paravent en forme de maison (en gros) qui lui permet de cacher ses meeples et ses marqueurs de compétences, rendant ainsi plus difficile la tâche de ses adversaires tout en lui offrant la possibilité d’utiliser une arme redoutable : le bluff. Qu’on se le dise, la longueur des parties de Keyflower dépend entièrement de la réflexion des joueurs autour de la table. C’est le temps passé à réfléchir aux interactions, aux conséquences de vos actions, aux forces de vos adversaires et à tous ces autres paramètres qui constitue au moins trois bons quarts du temps de jeu. Le bluff fait donc partie intégrante de Keyflower, au moins autant que les maths.

 

A ce stade, vous vous dites probablement qu’il vaut mieux acheter les tuiles pour les activer ensuite, bloquant ainsi l’accès aux autres joueurs. Sauf que non. Dans Keyflower, vous pouvez bien évidemment activer une tuile dans votre village mais vous pouvez aussi en activer une au centre de la table (donc soumise à enchères) et même chez les autres joueurs ! Il faut toutefois savoir que les meeples ayant servi à activer une tuile au sein d’un village reviennent tous au propriétaire du village à la fin de la saison. En activant une tuile chez un adversaire, vous lui offrez donc un (ou plusieurs) meeple(s). Reste à voir si cela vaut le coup, par exemple si vous lui barrez l’accès à sa propre tuile en l’activant avec une couleur qu’il ne possède pas/plus. C’est bien joli tout ça mais si on commence avec 8 meeples, qu’on fait des enchères où l’on perd et qu’on ne peut plus jouer, on perd donc un tour complet ? Que nenni mes amis ! Un joueur ayant misé des meeples sur une tuile mais qui n’est plus en majorité a le droit de reprendre l’ensemble de ces meeples pour les jouer ailleurs (il ne pourra par contre pas les séparer ni les reprendre derrière son paravent), que ce soit sur une autre enchère ou pour activer une tuile. En théorie, vous pouvez donc pousser un adversaire à cramer trop de pions sur une enchère qui ne vous intéresse pas tant que ça puis récupérer vos pions perdants et les déplacer sur une tuile qui vous intéresse réellement. Mais rappelons-nous qu’on n’effectue qu’une action avant de passer la main alors attention à ne pas vous faire piquer les coups les plus utiles juste pour embêter les autres. Comme en cuisine, tout est question de dosage. Dernière chose à savoir : les meeples remportant une enchère sont perdus (remis dans le sac) tandis que les perdants reviennent derrière le paravent de leur propriétaire. Là aussi, donc, on peut éventuellement forcer la main d’un adversaire pour lui faire perdre des pions avant la saison suivante.

 

La (fleur-) clé de la réussite

 

On l’a vu, Keyflower est un jeu qui réclame beaucoup de réflexion afin de déterminer quelle option est la plus intéressante parmi la multitude de possibilités. Les subtilités de ses règles comme le replacement de meeples lors d’enchères perdues ou la possibilité de passer son tour puis de revenir en jeu (une saison ne se finit que lorsque tous les joueurs ont passé leur tour successivement) le rendent très original et assurent également des parties très différentes en fonction des tuiles tirées au sort mais aussi en fonction de la personnalité de vos adversaires. Par exemple, un joueur sachant très bien lire les gens vous obligera à délaisser le bluff pour une approche très mathématique tandis qu’un analyste pur et dur aura l’effet inverse. Inutile de vous cacher que les mécaniques de jeu m’ont beaucoup plu et que, comme souvent, la possibilité d’écraser mon (ou mes) adversaire(s) me réjouit au plus haut point. A l’inverse de Five Tribes où l’Analysis Paralysis est un risque d’ennui, elle fait partie intégrante de Keyflower. Il faut donc bien avoir en tête que ce jeu est fortement cérébral et ne peut pas être appréhendé comme un jeu d’apéro à la Fantasy par exemple. Il faut aimer se prendre la tête, calculer des scénarios, voire des probabilités si vous êtes très matheux.

 

Mon adversaire lorsqu’il tente de deviner ma stratégie à Keyflower

 

Sur le matériel du jeu, pas grand chose à dire. La qualité est là, la boite n’inclut pas de plastique thermoformé pour ranger les meeples et les tuiles mais ça renforce son côté « jeu à l’allemande » avec ses petits sacs plastique zippés donc aucun problème de ce côté-là. J’émettrai un petit bémol sur les graphismes choisis. Ils ne sont pas moches ou ne manquent pas vraiment de soin apporté mais le style graphique ne me plaît pas trop. Cela reste entièrement personnel évidemment. Par contre, un problème moins subjectif (encore que) vient du choix des symboles de saisons. C’est bien gentil de mettre une feuille verte pour le printemps et une marron pour l’automne mais ce n’est vraiment pas pratique pour les daltoniens dont je fais partie. Enfin, les tuiles auraient gagné à être traduites mais là encore c’est un détail car il ne s’agit que de leur nom et toutes les tuiles sont expliquées en détail dans les règles en français.

 

TL;DR

 

Avec ses règles moins complexes que ne le laisse penser la taille du livret de règles, Keyflower a tout d’un bon jeu d’enchères et de gestion. La souplesse de son système de jeu fait la part belle à une réflexion très poussée et réveillera également en vous le Patrick Bruel en mal de parties de poker. Si vous n’aimez pas réfléchir, passez votre chemin. Sinon, à vous l’esclavagisme de meeples et les coups tordus pour des parties toutes différentes grâce aux tuiles qui ne sont pas toutes utilisées lors d’une partie !

 

On aime :

  • la rejouabilité virtuellement infinie
  • la « monnaie unique » (utilisation de meeples) qui pousse à faire des choix difficiles
  • l’interaction mouvementée avec les autres joueurs

On aime moins :

  • le style graphique

 

Craquez vos PO si :

  • vous cherchez un jeu de gestion et d’enchères très complet
  • vous n’avez pas peur de vous gratter la tête avant chaque coup

Quittez la partie si :

  • vous cherchez un jeu rapide et sans prise de tête

 

Keyflower – R&D Games
2 à 6 joueurs – 90 à 120min – 40€ environ

Keyflower power

Enchères, production, déplacement, amélioration... Dans Keyflower, le meeple est votre meilleur ami et fait littéralement tout pour vous. Il incombera à chaque joueur d'utiliser les siens le plus intelligemment possible pour écraser ses adversaires en se basant sur des réflexions détaillées et – forcément – longues.

9
Note finale:
9

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2 Comments

  • Reply
    champalaune
    07 Juin 2015 11:31

    Je suis roliste , ton article sur KEYFLOWER est très bien,
    par contre, la vidéo avec la mention  » mon adversaire lorsqu’il tente de deviner ma stratégie » est d’une violence extrême…
    Pour réponses, ne me faîte pas le coup de l’argument dans l’air du temps: « c’est de l’humour » et je ne saurai pas ce qu’est le second degré!!!

    merci

    christ roll the die

    • Reply
      Gizmo
      07 Juin 2015 12:36

      Bonjour et merci pour le compliment sur l’article 🙂

      Effectivement, le gif est violent. Il s’agit d’un extrait du film Scanners de Cronenberg dont je suis un grand fan. Le but n’était pas de choquer mais je comprends que ça puisse avoir cet effet. Désolé pour vous.

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