Aujourd’hui nous avons le plaisir de recevoir l’un des scénaristes et illustrateurs les plus talentueux de la bande-dessinée française : Florent Maudoux ! Créateur de la série geek à succès Freaks’ Squeele, un savant mélange entre les X-Men, Harry Potter et Monty Python, il revient aujourd’hui pour vous sur son parcours et sur la genèse de la saga qui l’a fait connaître… Il a accepté de répondre à nos questions après son passage à la Japan Expo 2011 et vous dira quelques mots au sujet de Doggybags et du tome 5 de Freaks en préparation. Florent, c’est à toi !
- Kiss My Geek : Et tout d’abord, bienvenue dans l’antre de Kiss My Geek ! Ça nous fait très plaisir de recevoir un auteur comme toi, parce que tes ouvrages représentent tout à fait la culture dont nous aimons parler sur le blog… Mais avant d’aller plus loin pourrais-tu te présenter en quelques lignes aux lecteurs qui pourraient ne pas te connaître ?
Florent Maudoux : Tout le plaisir est pour moi. Je suis donc auteur de bande dessiné, c’est à dire que j’écris et dessine mes propres histoires. Je travaille actuellement sur Freaks’ Squeele édité par Ankama sous le label 619, la série en est à son quatrième tome, j’ai également participé au collectif Doggybags toujours sous le même label chez le même éditeur.
En ce moment je bûche sur mon 5eme tome qui devrait arriver dans les librairies à la fin Janvier de l’année prochaine.
- KMG : Peux-tu nous évoquer rapidement ton parcours professionnel ?
F. M. : Varié.
Il faut que je développe un peu plus ? Alors disons que j’ai fait un stage chez Disney en animation lorsqu’ils avaient encore un studio à Montreuil et contrairement à ce que j’ai pu lire parfois, je n’y ai jamais été employé. Après la fin de mes études d’animation j’ai bossé pour Eden games dans le jeu vidéo. J’y ai animé l’héroïne d’un jeu méconnu (Kya sur PS2) et des personnages de Titeuf en jeu vidéo, toujours sur la même console. Puis j’ai fait un peu de tout dans cette boîte: du storyboard, du concept design et de l’illustration pour la préproduction du maudit Alone in the dark 5. Ensuite j’ai bossé en tant qu’illustrateur et character designer pour feu Rackham qui faisaient de magnifiques figurines. J’aime raconter que j’ai vécu « l’âge d’or du plomb ». En effet Rackham a considérablement fait évoluer la qualité des figurines 30mm avant d’entrer en bourse et de produire du plastique made in china.
- KMG : Étant donné l’éclectisme de tes contributions (le jeu de figurines, le cinéma, le jeu vidéo, etc.), si tu devais parler d’un souvenir en particulier, quel serait-il ?
F. M. : Qu’il n’y a rien de pire pour une boîte française que d’entrer en bourse.
S’il faut là aussi développer, je dirais que notre spécificité culturelle française est d’être des « fignoleurs ». Un trait de caractère qui s’accomode très mal avec ce besoin constant de faire du chiffre pour que des actionnaires mauvais coucheurs soient content de leur investissement. C’est comme mélanger la politique avec la baise c’est mieux de tout faire dans l’ordre.
- KMG : Passons à présent à la saga qui t’a fait connaître en tant qu’auteur… Comment le projet Freaks’ Squeele est-il né ?
F. M. : Du besoin de faire vivre ces personnages qui crevaient d’envie de sortir de ma tête.
De l’envie de partager quelque chose avec ma compagne.
De la lassitude éprouvée lors de chacun de mes précédents jobs.
Je traîne des projets de Bd depuis que j’ai l’âge de 13ans, plus ou moins sérieux, plus ou moins aboutis. C’est une passion qui ne m’a jamais quittée.
Alors que mon dernier boulot commençait à devenir répétitif, j’ai commencé à gratter un prototype de ce que serait FS, mon premier public fut ma compagne.
Fort de ses encouragements, j’ai réalisé 200 pages de BD crayonnées sur mon temps libre.
Lorsque mon boulot n’est plus devenu qu’un travail alimentaire, j’ai commencé à présenter Freaks à des éditeurs avec la ferme intention de faire de la BD.
- KMG : Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées pour son élaboration ?
F. M. : Trouver un rendu. Dans le dessin animé, on attache une attention toute particulière au rendu final et j’ai du réaliser une bonne demi douzaine de tests avant de trouver la bonne formule pour représenter les personnages dans leur environnement. J’avais pour objectif de me concentrer exclusivement sur la BD et il fallait que les avances sur droit me permettent de vivre correctement de mon art. Trouver un juste équilibre entre la qualité et la productivité est devenu vital dès les premiers instants.
J’avais besoin de m’affranchir de ce genre de souci pour pouvoir donner mon maximum pour l’histoire et les personnages.
- KMG : Au contraire, sur quels points as-tu pu te faire plaisir (dès le début, ou bien grâce à la réussite des ventes) ?
F. M. : Dès le début ce fut très simple avec Ankama, ils me donnaient carte blanche et je m’engageais à ne pas « chier dans la colle ».
Passé les premières planches où nous avons échangé quelques derniers avis et réglages, j’ai réalisé le premier tome d’une traite dans une espèce d’euphorie (je ne me souviens plus très bien ce qu’il s’est passé, mais 7 mois plus tard je rendais les dernières planches avec la couverture et les bonus à Ankama édition).
Depuis, chaque planche réalisée est un plaisir car j’ai pensé le monde de FS le plus large possible afin qu’il me permette de raconter tout ce dont j’avais envie.
J’ai beaucoup de chance d’être tombé sur Ankama éditions.
- KMG : Est-ce un challenge supplémentaire d’être le scénariste tout autant que le dessinateur sur cette saga, ou bien au contraire ne te verrais-tu pas travailler autrement ?
F. M. : Pour quelqu’un comme moi qui n’a jamais été un grand littéraire, c’était un pari risqué. Mais la BD c’est aussi des images et l’art de les lier avec le texte.
Je préfère être libre de raconter ce que je veux. Changer un bout de dialogue s’il ne convient pas à la pagination ou à l’expression du personnage. Pouvoir fignoler dans les moindres détails la narration. Ajouter ce petit quelque chose qui fait que la magie prend corps.
C’est compliqué à expliquer à quelqu’un qui n’a jamais été confronté à la difficulté de réaliser un album, mais pour faire simple la BD est un médium très subtile et délicat. Le cinéma impose son rythme et le roman offre une certaine liberté d’interprétation. La BD se situe entre les deux, naviguant à des niveaux que personne ne peut fixer car ils varient considérablement d’un lecteur à l’autre en fonction de son âge, de sa culture voire de son sexe.
En dehors de toute considération pour les personnages et l’histoire. La BD est comme un défi intimiste où je suis seul avec le lecteur et où la somme de nos psychés crée un univers.
Je vais m’attaquer à d’autres projets en tant que scénariste et ça sera encore une autre expérience que le vol solo. Du coup je n’exclue pas d’adapter un jour le texte d’un autre du moment que j’arrive à transmettre mon énergie via le dessin.
- KMG : Pourrais-tu nous parler de tes principales sources d’inspiration ?
F. M. : Je m’efforce de nourrir ma BD avec tout ce qui me tombe sous la main. Un voyage, une rencontre.
Avoir constamment un regard neuf sur les détails les plus insignifiants du quotidien afin de trouver un angle ou une lumière différente.
Concernant la culture, j’essaye de l’aborder comme un spectateur lambda. Ne pas réfléchir à « comment j’aurais fait à la place de… », ne pas laisser la déformation professionnelle gâcher un moment de complicité.
J’ai choisi de faire du fantastique afin de pouvoir tout transformer et magnifier à ma guise, mais en réalité cette histoire d’école de héros ce n’est qu’un reflet de la scolarité de madame ou monsieur tout-le-monde.
- KMG : Aimerais-tu nous dire quelques mots au sujet de l’évolution de la franchise ?
F. M. : Difficile de parler de franchise, pour l’instant il y a tant de choses de commencées et aucune de réellement terminée.
Tout ce que je peux dire c’est que je fais passer FS sous sa forme actuelle avant tout. Ca serait une trahison de délaisser la BD parce que je ne sais quel autre projet pourrait avoir l’air plus allèchant.
- KMG : Que penses-tu du succès éclair qu’elle a eu, et du « coup de boost » que ça a donné à ta carrière ?
F. M. : Rien n’est joué, tout reste à faire. J’ai de la chance d’être considéré par la critique, la profession et le public. Après, la qualité d’une série se juge à la manière dont elle se termine. Plutôt que de m’enorgueillir de tout ça, je préfère me mettre la pression pour fournir un travail toujours plus intéressant et ainsi rendre justice aux personnages de FS en même temps qu’aux lectrices et lecteurs qui suivent la série.
- KMG : Quelques mots au sujet du tome 5 en cours d’élaboration ? (je suis open pour une exclu, cela va de soi !)
F. M. : Beaucoup plus calme que le tome 4 qui se place sous le thème des actioners américains des années 80. Lors d’un voyage aux accents oniriques les personnages vont devoir en apprendre plus sur eux-même pour mieux sauver leur fac de la disparition. Des révélations en pagaille sur Xiong Mao, Ombre et Chance qui n’en finira plus de vous étonner.
- KMG : Et Doggybags, j’imagine que tu aimerais nous en parler un peu aussi ?
F. M. : Masiko rempile pour une seconde aventure, reste à trouver le temps de la réaliser.
Du coup concernant le calendrier c’est délicat de s’avancer. Run est plus à même de vous renseigner là dessus.
- KMG : Qu’est-ce qui a radicalement changé pour toi, professionnellement et personnellement, grâce à tout ça ?
F. M. : Professionnellement, je fais enfin un job que je peux assumer à 100%, que j’aime et qui me procure pas mal de complicité avec ma compagne.
Personnellement, je crois que le gamin de 13ans qui dessinait des mangas dans les marges de son cahier de mathématiques serait fier de savoir ce qu’il est devenu.
On peut dire que je suis un enfant gâté.
- KMG : Avant de passer à la seconde partie de notre interview, nous aimons beaucoup demander aux auteurs qui passent sur le blog s’ils ont un souvenir de dédicace (bon ou mauvais !) qu’ils aimeraient partager avec nous…
F. M. : J’ai la chance de ne pas avoir de vrais mauvais souvenirs hormi quelque chasseurs de dédicaces à l’esprit chagrins. Concernant les bons souvenirs, une jolie jeune femme est venue me dire qu’après la lecture de ma BD elle se sentait belle. Je peux vous dire que ça fait vraiment plaisir à entendre.
Si je peux participer un peu à ce que les femmes apprennent à s’aimer d’avantage alors je pense avoir gagné ma place au paradis !
- KMG : Nous voilà engagés dans le dernier acte de l’interview… Qu’est-ce qu’un geek pour toi ?
F. M. : Quelqu’un à qui on a collé une étiquette.
Souvent un geek n’est pas vraiment geek. C’est comme le Squeele, allez savoir ce qui se cache derrière ce mot.
- KMG : Te considères-tu comme tel ?
F. M. : Vu la quantité de trucs que je lis et regarde par pur plaisir coupable, alors oui je suis un geek.
- KMG : Qu’est-ce que tu lis ?
F. M. : Des romans fantastiques de Robin Hobb, Georges R. R. Martin, Glen Cook, Neil Gaiman, Alain Damasio. Plus quelques essais sur des thèmes précis (société secrètes chinoises, civilisations celtiques etc.).
Puis en BD (je ne fais pas de distingo entre BD, manga et comics): Naoki Urasawa, Run, Christophe Blain et plein d’autres. Sans chercher à être une encyclopédie de la BD j’essaye de me tenir au courant de ce qui se fait dans le domaine où j’exerce.
- KMG : Qu’est-ce que tu regardes ?
F. M. : En matière de série il y a Dr House, Game of Thrones et les créations d’Alan Ball. J’ai bien aimé la première saison de Desperate Housewife, mais je trouve que la suite est calamiteuse.
En film, je suis la carrière des frères Cohen et j’apprécie le cinéma de hong kong avec ses réalisateurs comme Tsui Hark ou encore Johnnie To. Je ne boude pas mon plaisir devant un bon gros block buster avec plein d’FX à l’occasion.
En anime ces dernières années c’est un peu la traversée du désert hormis les créations du studio Gainax et un Pixar sur deux.
- KMG : A quoi tu joues ?
F. M. : Hormis Starcraft II, je joue plutôt à des casual games et quand on peu on se fait un jeu de plateau (on en a une armoire remplie à la maison) ou un loup garou de tiercelieux.
J’ai de moins en moins de temps pour jouer à mon grand désespoir.
- KMG : Quel est ton meilleur souvenir de geek ?
F. M. : D’avoir acheté un tapis de souris avec nichons à l’effigie d’un personnage féminin de Gurren Lagann.
- KMG : As-tu une passion en particulier dont tu as peu l’occasion de parler ?
F. M. : Je ne crois pas. Si vous voulez en apprendre d’avantage sur moi, FS est comme un livre ouvert sur ma personnalité et mes goûts.
- KMG : Quelle est la question qu’on ne t’a jamais posée et à laquelle tu aimerais répondre ?
F. M. : « Te déguises-tu en femme pour mieux les comprendre? »
La réponse est « non, car je ferais une bien vilaine femme. »
- KMG : Nous terminerons cette interview par notre petite question rituelle : chaque invité de Kiss My Geek possède un super pouvoir de geek. Par exemple, Salomé est une memory card d’apparence humaine. Elle retient tout, tout le temps, à vie ! Et toi, quel est ton pouvoir ?
F. M. : Je peux dessiner la femme parfaite. Mais je ne le fais pas car celui ou celle qui regarderait ce dessin perdrait goût pour le sexe à tout jamais. A noter que je suis immunisé contre les effets de mon propre pouvoir.
Je détiens donc le secret de la fin de l’humanité entre mes mains et je fais l’objet de plusieurs mandats internationaux. En effet un groupe terroriste militant pour la décroissance a tenté d’afficher un de mes dessins sur un écran publicitaire lors du super bowl en 2009, j’ai été désigné comme bouc émissaire lors de cette affaire. Heureusement que la France n’extradie pas ses ressortissants vers les Etats-Unis…
Nous remercions à nouveau Florent Maudoux de s’être prêté au jeu, ainsi que Marie pour la photo !
Toutes les publications de Florent sont disponibles sur l’Ankama Shop. A ce jour 4 tomes de Freaks’ Squeele ont été publiés. Le cinquième est prévu pour début 2012.
5 Comments
Grut
09 Juil 2011 8:15Super ITW !
Vivement le 5eme Tome de Freaks’ Squeele : j’en peux plus d’attendre 🙂
Yaeck
10 Juil 2011 3:47Vrai fan de sa BD « fourre-tout » aux références disparates…Vivement la suite et que les projets spin-off voient le jour-Fortunate Son!-…y compris pourquoi pas le Dessin Animé (mais alors seulement si il en garde le contrôle si je puis dire)
Meporg
03 Mai 2013 4:32J’avais déjà lu cette interview sans vraiment y porter attention, mais en lisant Doggy Baggs j’ai voulu en savoir plus sur l’auteur de Masiko. J’ai vraiment adoré cette BD et j’aimerai bien une suite… Dans le tome 3 apparemment non ?
Enfin, je suis admiratif d’un tel travail et d’une telle carrière. Merci KMG pour cette interview et je crois que je vais craquer pour Freak’s Squeele.