Interviews 2

[ITW] Frédéric Forest, créateur d’Ex Illis

Ex-Illis

A l’occasion du Monde du Jeu, nous avions pu avoir un aperçu du jeu de plateau Ex Illis. Lors de mon déplacement au Canada, j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer Frédéric Forest, anciennement level designer sur Assassin’s Creed et aujourd’hui Président de Bastion, studio créateur du jeu. En plus d’une visite de leurs locaux de Québec j’ai pu m’entretenir avec lui au sujet de ce jeu original mêlant figurines et jeu vidéo. L’interview a été enregistrée vocalement mais si ceci est une retranscription écrite, je vous ai laissé un lien vers le fichier audio en fin d’article, n’hésitez pas à aller le télécharger ! Un gros merci à Frédéric et à Alexandre qui ont rendu cet échange possible, ainsi qu’à mon stagiaire de Red Dead qui était là également pour l’occasion.


  • Kiss My Geek : Frédéric Forest, vous êtes le président de Bastion. J’aimerais commencer cette interview par une présentation rapide de votre personne !

Frédéric Forest : Je suis président directeur créatif du studio Bastion. Mon passé professionnel est avant tout dans le domaine du jeu vidéo mais j’ai toujours été un joueur de jeux de plateau, comme consommateur, et un gros fan de tout ce qui est wargame, jeux de figurines, etc. C’est en faisant le mélange de ces deux mondes-là qu’on en est arrivés au concept de Bastion.


  • KMG : Pouvez-vous nous parler de la création du studio ?

F.F. : Nous étions de grands fans de jeux de figurines mais nous le trouvions trop niché. Nous voulions approfondir le concept communautaire qui sortait du marché traditionnel. L’une des grandes barrières étant que dans tous les jeux traditionnels on demande aux joueurs d’être à la fois arbitres et joueurs. Nous voulions permettre une entrée dans le monde du jeu de figurines plus simple grâce à l’informatique. On s’est donc posés avec une équipe mixte venant à la fois du wargame et du jeu vidéo pour créer Ex Illis.


  • KMG : Depuis combien de temps le jeu est il en production ?

F.F. : Le studio existe depuis environ deux ans et demi et les premiers tests bêta datent d’un an. Aujourd’hui nous sommes vraiment en version commerciale avec plusieurs itérations. La version d’aujourd’hui est bien rodée, solide et bien entourée avec le site web, l’encyclopédie, le forum, etc. Tout ça commence à être bien ficelé.


  • KMG : Combien êtes-vous sur le projet ?

F.F. : Une petite dizaine. Notre équipe nécessite plusieurs domaines d’expertise ; la création des logiciels, des figurines, etc. Du coup nous sommes plutôt hétéroclites, ce qui est très stimulant puisque ça nous permet d’apprendre des deux milieux et de développer des techniques pour aller plus loin.


  • KMG : Votre équipe artistique travaille-t-elle sur place ?

F.F. : Tout à fait. Notre directeur artistique, Thierry Husser, est un peintre reconnu dans le milieu de la figurine. Il a fait ses classes chez Rackham en France. Son expertise nous sert dans la direction artistique du projet. Pour tout ce qui est travail de sculpture on a été chercher des gens travaillant  sur le modeling 3D en jeu vidéo puis on a mis en place un processus pour passer du modèle 3D au modèle figurine. C’était très intéressant puisqu’on a pu mêler technique traditionnelle et infographique, et garder notre identité visuelle unique.



Ex-Illis
Les locaux d'Ex Illis, petits mais bourrés d'inventivité !


  • KMG : Si vous deviez résumer le concept Ex Illis à un néophyte du jeu de plateau ?

F.F. : Ex Illis est un jeu de figurine du tyle « hobby », c’est à dire que ce sont des figurines en plastique à coller et à peindre dont les joueurs vont faire collection par nombre de 50 ou de 100. C’est comme un gros jeu d’échecs. La grosse particularité d’Ex Illis étant qu’on utilise un logiciel pour résoudre les actions ; le plateau, les figurines, etc. font partie de l’aspect tactique du jeu. C’est à partir de cela que l’on décide des angles de charge, des cibles de tir, des zones à contrôler, etc. Et quand on est prêt à jouer l’action, on donne notre ordre au logiciel qui exécute le tout.

Cela permet plusieurs choses intéressantes. D’abord, cela rend le jeu très accessible ; on peut jouer immédiatement sans avoir lu 300 pages de règles. Cela évite également aux gens d’être arbitres et joueurs en même temps. Du coup les parties sont très fluides, familiales, faciles d’accès même pour les gens jouant peu aux jeux de figurines.

D’un autre côté, le fait d’utiliser un logiciel nous permet d’aller très loin dans la profondeur des règles. C’est à dire que chaque figurine a près de 40 statistiques qui vont évoluer au cours de la partie. On est capables d’avoir une granularité très pointue, avec des dés 100 nous permettant d’utiliser des algorithmes poussés. On peut ainsi aller loin sans que cela n’embourbe le jeu puisque l’on n’a pas besoin de connaître LA règle obscure qui arrive tous les mercredis soirs de pleine lune : rien n’est oublié. Du coup, même pour le joueur très orienté stratégie ça devient intéressant puisqu’il va pouvoir pousser cela à fond tout en se laissant aller au niveau de sa connaissance profonde des règles.

Encore un aspect intéressant d’Ex Illis ; le concept de réalité augmentée. Chaque figurine a sa propre vie sur les serveurs et garde une mémoire d’une partie à une autre. Elle va gagner de l’expérience, des niveaux, on va la spécialiser, etc. Nous allons bientôt sortir un système économique avec de l’or, des magasins, un système d’entraînement des troupes, etc. Cela nous permet d’aller très loin dans la rejouabilité. Avec une petite collection et même si on joue souvent avec les mêmes personnes, puisque les personnages évoluent d’une partie à une autre la durée de vie du jeu reste conséquente.


  • KMG : Justement, que vanteriez-vous auprès des joueurs plus habitués aux jeux de plateau ?

F.F. : On est sur le marché depuis assez longtemps pour constater que les joueurs accrochant le plus à Ex Illis sont les plus éclectiques dans leurs goûts ludiques. Il n’y a pas que les joueurs de wargames, il y a aussi ceux qui font du MMORPG, des jeux plus tactiques, etc. Ex Illis nous permet de faire la synergie de ces différents styles de jeux à l’intérieur d’un même système, et c’est ce qui nous rend unique aux yeux de cette tranche du public.


  • KMG : Vous avez travaillé dans le jeu vidéo avant de fonder Bastion ; dans quelle mesure cette expérience professionnelle vous a-t-elle influencé pour la création d’Ex Illis ?

F.F. : Cela m’a influencé au niveau des algorithmes et des mécanismes de jeu qui sont plus poussés et complexes dans leur résolution. On a tous des jeux fétiches qui nous influencent, tant vidéo que plateau, et qui ont eu leur part dans la conception d’Ex Illis. Les gens qui joueront et qui ont une culture de gaming assez large vont les retrouver. Par exemple, il est certain que tous les wargames traditionnels ont eu leur impact, comme Warhammer et les jeux Rackham. Du côté jeu vidéo je pourrait citer tous les Final Fantasy Tacticts, Diablo, Heroes of Might & Magic, etc. C’est la combinaison de ces influences-là qui fait d’Ex Illis un jeu unique.



Ex-Illis
Frédéric Forest, créateur du studio Bastion.


  • KMG : Pour en revenir au background du jeu ; vous avez fait le choix de vous baser sur l’histoire européenne. Pourquoi ?

F.F. : Quand on a commencé à écrire Ex Illis, on savait qu’on voulait créer un univers fantastique. Mais la génération qui a grandi avec les elfes et les orques, et qui a aujourd’hui entre 25 et 35 ans, en a assez de tout le temps retomber dans ces classiques-là. Nous nous sommes donc demandé ce que l’on pouvait faire qui s’adresserait à ce public qui connaissait la fantasy mais qui voulait aller un peu plus loin. Mêler l’histoire au fantastique est donc venu de façon assez naturelle. Nous voulions quelque chose de riche, de profond, et qui aille plus loin que tous les clichés que nous connaissons. C’est en se basant sur diverses influences telles que George R. R. Martin ou Neil Gaiman que nous nous sommes confortés dans le désir de raconter une uchronie pour adultes.


  • KMG : En faisant un tel choix au niveau du contexte, visiez-vous plutôt le marché européen ?

F.F. : Oui et non. Il faut savoir que dans la mentalité nord-américaine, lorsqu’on parle du moyen-âge forcément on considère ça comme un tronçon commun puisque l’Amérique n’avait pas encore été colonisée. C’était en quelques sortes encore chez nous. Ce qui est certain c’est qu’on a beaucoup de régionalisme en France. On a plus de 32 factions en jeu, tant régionales que politiques. Il est sûr qu’en Bretagne, on joue la Bretagne. Mais même les joueurs nord-américains s’intéressent à l’histoire liées aux factions.

Ce qui est intéressant c’est que les joueurs poussent leurs recherches pour savoir lesquels de nos factions ou personnages sont historiques ou fantastiques. C’est aussi là que le Wiki a tout son intérêt puisqu’il nous permet d’intégrer les ajouts des joueurs, que ce soient des images de leurs figurines, leurs stratégies et leurs textes narratifs (fluffs) dont les français sont notamment très productifs.


  • KMG : Parlez-nous encore un peu de vos influences, on sent que l’univers littéraire et graphique d’Ex Illis en est très nourri.

F.F. : Il y a de grands courants littéraires et artistiques, notamment au niveau de la fantasy très typée de la fin des années 70′ et 80′, qui ont été très utilisés par notre génération. Aujourd’hui  on cherche justement plutôt le contre-cliché, le tangible et le réaliste. Plutôt que de se passer dans des plaines imaginaires, on sait ici que ça se passe en Champagne, en Loire, en Angleterre. Mais puisque ça va puiser dans des éléments qui ne sont pas historiques, il s’agit vraiment d’un travail de recherche pour avoir quelque chose de solide et de cohérent, tout en gardant l’aspect magique de la chose qui sort de l’ordinaire.


  • KMG : Ce qui m’a frappée quand je me suis intéressée à Ex Illis c’est l’importance que vous accordez à votre communauté, notamment par le biais des forums. Quels sont les principales qualités du jeu que celle-ci vous rapporte, et les défauts sur lesquels vous travaillez ?

F.F. : On a choisi le slogan « Wargaming 2.0 » pour les forums, justement. Le fait qu’on ait une plateforme informatique nous permet de faire des updates très rapidement grâce au feedback des utilisateurs. Nous sommes très présents sur les forums pour suivre les problèmes, améliorations et suggestions intéressantes rapportés par les joueurs et pour en discuter avec eux, les implémenter, le tout gratuitement et le jour-même dans le monde entier. Ça nous permet d’être beaucoup plus proches de notre communauté, et surtout de diffuser l’information plus facilement. C’est aussi très pratique pour le balancing. Le jeu est jeune et chaque nouvelle sortie est importante, change le gameplay. Grâce à cette interaction avec le public nous pouvons nous assurer d’être là où nous devons être, que les règles restent cohérentes, profondes, tactiques et stratégiques.

Il arrive bien entendu que certaines choses nous échappent, ou que l’on pense bien faire alors qu’au final le résultat est médiocre. Mais nous avons des membres très vocaux dans la communauté prêts à nous le faire savoir. Nous en discutons alors avec eux et nous préparons différentes pistes pour mettre en place des solutions. Par exemple le mécanisme de tir a été ajusté en fonction des feedbacks de la communauté ! Il s’agit donc d’un processus dans lequel la communauté est très impliqué, d’où le 2.0.


  • KMG : Cette présence communautaire permanente n’ajoute-t-elle pas trop en pression ?

F.F. : Oui et non… C’est peut-être culturellement très francophone de dire que les bonnes engueulades font partie de la vie mais, pour nous, il est important de nous assurer que nous pouvons distinguer la tendance de fond générale de la personne en désaccord qui parle très fort, mais qui au final est toute seule. Seuls le temps et la discussion nous permettent de voir si un point pose vraiment problème à la communauté tout entière, ou seulement à certains de ses membres isolés. En outre, étant nous-mêmes joueurs d’Ex Illis nous avons toujours nos propres idées sur les problèmes soulevés. Nous jouons et testons toujours tout très régulièrement. Il  y a toujours beaucoup de playtests faits en internes avant qu’ils ne soient mis en application. C’est la combinaison de tout ça qui nous permet de faire la part des choses entre ce qui doit vraiment être intégré et ce qui peut encore attendre.



Ex-Illis
La table de tests du studio... On n'imagine même pas les heures que l'équipe a dû passer devant !


  • KMG : Quelle est votre communauté de joueurs la plus active ? L’européenne ou l’américaine ?

F.F. : On est à peu près à équivalence. Ils sont toutefois un peu plus nombreux aux États-Unis. On a notamment des foyers de communauté intéressants qui commencent à se développer en France, surtout au niveau de l’Est, de Paris et du Lyonnais. Tranquillement, les gens se regroupent pour jouer. Le côté réseau social permet également de se retrouver facilement pour faire foisonner les communautés.


  • KMG : Quelles ont été les principales difficultés de la production ?

F.F. : Nous avons dû apprendre énormément de choses à beaucoup de niveaux différents. Nous avons commencé Ex Illis de rien et aujourd’hui nous distribuons des kits plastique pour des figurines très détaillées de plus de 30 centimètres de haut. Nous avons dû beaucoup travailler sur la qualité de ces produits, et cela se ressent quand on regarde nos premières sculptures par rapport aux plus récentes. Je pense qu’on peut y voir une belle amélioration.

L’autre difficulté, étant un jeu nouveau, était de savoir définir ce qu’Ex Illis était, et ce qu’il n’était pas. Il fallait rester toujours bien centrés sur nos objectifs. Pour nous Ex Illis est avant tout un jeu de plateau avec support informatique, et non l’inverse. On ne gère donc pas d’intelligence artificielle, de jeu en réseau, etc. Nous voulons mettre l’emphase sur le plateau.

L’aide et les suggestions de la communauté ont été d’un énorme intérêt à tous ces niveaux-là. Pour nous tout ce qui compte c’est que les gens aient du plaisir en jouant à Ex Illis.


  • KMG : Quels sont vos projets pour Ex Illis… et pour Bastion ?

F.F. : Il y a plein de projets ! Toutefois pour Bastion notre cheval de bataille reste Ex Illis et nous comptons y mettre toute notre énergie. Avec les joueurs sur les forums nous allons pouvoir définir un certain ordre de priorités quant aux idées que nous voulons développer pour le jeu.

Par exemple nous réfléchissons à un système de campagnes qui permettrait de relier les parties entre elles. Nous voulons aussi travailler sur un système économique, de scénarios, etc. Nous venons de lancer un module de réseaux sociaux avec la possibilité d’avoir des amis, une messagerie interne, la possibilité d’organiser des tournois, et plein d’autres choses.

Nous surveillons toujours les réactions de la communauté pour changer éventuellement l’ordre de nos priorités. L’essentiel pour nous est de continuer à faire évoluer le jeu avec les feedbacks des joueurs et de continuer à sortir des nouveautés pour en faire un jeu chaque fois plus complet et plus fun.  


Un gros merci à Frédéric et à Alexandre qui ont permis cette interview. Nous souhaitons beaucoup de succès à Ex Illis qui se promet être un wargame innovant et particulièrement passionnant ! Et pour les intéressés, voici le lien vers l’interview audio complète.

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2 Comments

  • Reply
    Ikkilerme
    05 Nov 2010 7:06

    Excellente interview, chapeau bas ! je m’étais intéressé a Ex Illis avec l’article éponyme présent sur KMG, j’avoue ne pas avoir eu le temps de pousser l’expérience mais je pense pousser la recherche d’ici là. EN tout les cas c’est intéressant de voir comment naissent les projets, les hommes qui sont derrière et qui font avancer les concept d’interaction.
     
    Bel exemple de réalité augmentée en tous les cas, j’adore. J’ai toujours rêvé que Games Workshop franchisse le pas, sans succès, mais Ex Illis pourrait les décider, en tout cas ça marche ! 😀
     
    Ainsi donc on sait maintenant pourquoi tu a été au Quebec (tin tin tin…… ) !!

  • Reply
    Neofuegan
    06 Nov 2010 6:34

    Pour info : l’interview audio complète ne fonctionne pas, en tout cas pas chez moi (404: page non trouvée).
    Excellente interview sinon.

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