Il était 4h25 cette nuit là. Je me suis réveillé en sueur, comme si je sortais d’un mauvais rêve, mais ce n’était pas le cas. Je n’avais qu’une idée en tête : « Tout est clair ! Si je vais dans cette pièce la prochaine fois que je trouve cette clef, alors je pourrais forcément avancer sur la résolution de ce mystère ! ». À ce moment, cela faisait une semaine que je jouais à Blue Prince. Déjà la veille, je m’étais arrêté durant la cuisson de mon repas pour vérifier en urgence une théorie qui venait de s’imposer à moi. Les critiques que j’avais lues jusqu’ici disaient vraies : Blue Prince est une montagne de crack et je suis devenu accro.
Il y a plein de vie dans une vie d’enfant
Dans Blue Prince, vous incarnez Simon, jeune héritier du manoir de son oncle. Enfin, presque. Pour en devenir le propriétaire légitime, il faudra d’abord réussir à pénétrer dans la 46ème pièce de cette demeure qui ne semble pourtant en compter que 45. Lorsque vous débutez votre partie, vous démarrez dans le hall d’entrée et trois portes s’offrent à vous : au nord, à l’est et à l’ouest. À chaque fois que vous ouvrez une porte, le jeu vous proposera trois destinations possibles parmi trois pièces triées au hasard. Certaines sont des impasses, d’autres comptent beaucoup de sorties, certaines donnent accès à quelques ressources utiles, d’autres imposent à malus. À chaque fois que vous traversez une pièce, vous perdez l’un des cinquante pas que vous pouvez faire durant la journée.
Une fois tous vos pas utilisés, ou si vous ne parvenez plus à progresser dans le manoir, la journée prendra fin et vous viderez vos poches avant de partir vous coucher. Le lendemain matin, vous revoilà dans le hall d’entrée avec vos cinquante pas et les trois mêmes premières portes s’offrant à vous. Il vous reviendra alors d’organiser à nouveau au mieux votre périple dans le manoir en choisissant minutieusement ce qui se cache derrière chaque porte.
N’imaginez cependant pas que chaque pièce renferme une énigme à résoudre, ou qu’il existe une façon parfaite d’agencer vos pièces pour atteindre la Room 46. Le manoir dans son intégralité est un gigantesque imbroglio d’énigmes que chaque pièce viendra éclairer d’une façon différente. À vous de faire petit à petit les rapprochements nécessaires entre les informations fraichement obtenues, celles dont vous aviez notées quelques jours plus tôt et – parfois – celles que vous n’avez cessé d’ignorer alors qu’elles étaient sous vos yeux depuis le début. À vous d’exploiter au mieux les ressources que vous trouverez en chemin. À vous de comprendre jour après jour les règles qui régissent cet endroit particulièrement désert. D’ailleurs, si les couleurs un peu délavées et les accords mineurs qui parsèment toute la bande son peuvent donner l’impression d’un jeu oppressant ou lugubre, cela n’est jamais vraiment le cas. Cependant, même si la direction artistique du jeu est particulièrement lisible, arpenter seul une immense maison dénuée de vie peut donner le cafard.
Un jeu qui rend Toc Toc Toc ?
Étonnamment, je n’ai jamais eu le sentiment d’être pris pour un idiot en jouant à Blue Prince, contrairement à ce que j’avais pu ressentir en jouant à The Witness en 2016. Dans le manoir de Blue Prince, j’avançais au rythme de mes découvertes, en ayant toujours en tête de nouvelles choses à aller expérimenter. Il faut dire que j’ai eu la chance de découvrir Blue Prince dans les meilleures conditions possibles : durant une semaine de congés un peu pluvieuse. J’ai pu m’astreindre à un régime drastique, avec au moins une run chaque matin, chaque après-midi et chaque soir. J’ai pu le faire sur PC, ce qui facilite considérablement la prise de note et la gestion des très nombreuses captures d’écran réalisées tout au long de cette aventure. Et j’ai pu le faire en même temps qu’un ami, car Blue Prince est une expérience qui se partage bien à deux, que cela soit derrière un même écran, ou entre joueurs progressant en parallèle dans le manoir.
Blue Prince est presque une ode à la sérendipité. Une journée réussie n’est pas forcément longue et ne débouche pas toujours sur la résolution d’un mystère. Une journée réussie viendra vous apporter de nouvelles informations dont vous ne suspectiez pas encore l’existence ou l’importance. D’ailleurs, en fonction de vos tirages et de vos choix, des notes que vous aurez prises, de vos réflexions et de votre attention à certains détails, votre progression sera probablement bien différente de celles d’autres joueurs. Comme dans tous rogue like, certaines résolutions déboucheront sur des améliorations durables que vous conserverez d’un jour sur l’autre, mais sachez que de nombreuses énigmes accouchent de mystères encore plus grands. Certains trouveront cela généreux, d’autres fulmineront.
Pour ma part, j’ai trouvé Blue Prince brillant tant il est parvenu à me faire comprendre de nombreuses choses au fil des heures. Si certaines de mes toutes premières notes ne m’ont toujours pas été utiles, mais je suis persuadé qu’elles le seront tôt ou tard pour progresser. Si un élément vous semble étrangement mis en avant dans une pièce, cela n’est vraisemblablement pas par hasard. Malgré une RNG parfois impitoyable, rien ne semble vraiment laissé au hasard dans ce manoir. Avec ses faux airs de walking simulator, on pourrait croire qu’on va le boucler en 10 heures tout au plus. Mais on réalise petit à petit que rejoindre cette quarante-sixième salle n’est pas tant le but ultime à atteindre que le premier objectif énoncé. Cette quête est déjà plaisante et satisfaisante en elle-seule, mais Blue Prince a beaucoup plus d’un mystère à vous proposer, suffisamment pour occuper les plus acharnés pendant des dizaines et des dizaines d’heures.
Brian is in the kitchen
Pourtant, Blue Prince est aussi un jeu incroyablement clivant tant il est jusqu’au-boutiste dans sa démarche. Pour apprécier Blue Prince, il faudra forcément accrocher aux jeux d’enquête et être prêt à s’investir dans celui-ci en particulier. Il ne faudra pas être allergique aux rogue like et aux runs parfois frustrantes, même après plusieurs dizaines d’heures de jeu. Blue Prince ne propose pas non plus de système d’aide ou d’indice, ni de bouton pour annuler une action maladroite ou bien une touche mettant en valeur les éléments que vous auriez manqué dans une pièce. Il faudra aussi être à l’aise avec l’anglais, car Blue Prince n’est pour l’instant disponible que dans la langue de Freddie Mercury et il sera difficile à localiser. Entendez par là que certaines mécaniques sont très étroitement liées à des mots pas toujours très communs, à des textes et même – plus rarement – à des jeux de mots.
Pour ma part, l’aspect qui m’a le moins séduit dans Blue Prince est probablement l’histoire qui se raconte en toile de fond. Car oui, en plus de cacher 1000 secrets dans un rectangle de 45 pièces, Blue Prince parvient à de donner de l’épaisseur à la famille de Simon et à l’univers qui entoure le manoir. Cela est amené par petites touches, au travers de correspondances retrouvées, de photos abandonnées ou d’articles de journaux découpés. Hélas, cette narration fragmentée et avec laquelle on interagit très peu n’est jamais parvenue à véritablement me marquer.
On a aimé :
- La progression organique et naturelle
- La générosité insoupçonnée du jeu
- La direction artistique très lisible
On a moins aimé :
- Aucun système d’aide intégré
- Bon niveau d’anglais exigé
- L’histoire en toile de fond
Entrez dans le manoir si :
- Vous êtes naturellement curieux
- Vous cherchez une expérience à partager
- Vous étiez fan de Myst
Quittez les lieux si :
- Vous n’aimez pas les jeux ayant une composante aléatoire
- L’idée de devoir prendre des notes en jouant vous repousse
- Vous vous perdez facilement dans un Ikea
Allez le bleu !
Aussi généreux que frustrant, aussi brillant que clivant, Blue Prince est à la fois un jeu qui m’a obsédé durant ces dernières semaines et un jeu qui laissera bon nombre de personnes sur le carreau. Si vous pensez que ce jeu peut vous plaire, il vous plaira certainement. Si vous sentez qu’il n’est probablement pas pour vous, c’est sans doute le cas. Pour ma part, j’ai été fasciné par Blue Prince, un jeu qui demande un réel investissement, mais donne énormément en retour.