Kapow! 5

[Kapow !] The Wicked + The Divine : The Faust Act

wickdiv_banner

Vous connaissez sans doute Kieron Gillen (non, je ne ferai pas de blague sur Karen Gillan), l’un des fondateurs du célèbre site RockPaperShotgun, ancien journaliste jeux vidéo et musique reconverti dans l’écriture de comics. Il s’est notamment fait remarquer sur des séries comme Young Avengers et Iron Man. Eh bien le travail qu’il a fait en collaboration avec Jamie McKelvie (dessin) et Matthew Wilson (couleurs) et dont on va parler ici n’a absolument rien à voir avec celui fait chez Marvel. Non, chez Image Comics, Gillen se lâche et nous fait exploser sa connaissance en pop culture au visage dans des œuvres plus personnelles (c’était déjà le cas avec Phonogram qui utilisait la britpop comme de la magie). Aujourd’hui, on parle du premier acte de The Wicked + The Divine intitulé The Faust Act qui comprend les 5 premiers issues (réunis dans un TPB).

 

David Bowie ? Tilda Swinton ? Non, Lucifer.

 

Gods among us

 

Le pitch de The Wicked + The Divine n’est qu’assez peu révélateur du contenu de l’œuvre : tous les 90 ans, 12 dieux se réincarnent dans le corps d’adolescents ou de post-adolescents et disposent de deux ans de vie parmi nous. Voilà, c’est tout. C’est Amaterasu, divinité shintoïste du soleil et l’un des personnages de ce panthéon, qui nous en apprend un peu plus sur leur but dans le premier chapitre. « We’re gods. We inspire. We make life worth living, for an evening at a time. » Et comme on est en 2014, quelle meilleure façon d’inspirer les humains qu’en devenant des stars de la musique ? Ces adolescents britanniques rencontrent donc le succès chacun dans leur secteur musical, font salle comble et ont des fans tellement conquis qu’ils s’évanouissent et ont des réactions disons étonnantes lors de leurs concerts comme on le voit dès les premières pages. Mais ils ne font pas l’unanimité et, après l’un de ces événements, sont attaqués par deux membres d’une sorte de milice – dont on ne sait rien – à qui Lucifer fait exploser la tête en claquant des doigts. Pendant son procès, elle s’amuse à menacer le juge de lui faire subir le même sort sauf que, pas de bol, la tête du fonctionnaire explose vraiment et Lucifer se retrouve en prison. C’est là que l’histoire démarre vraiment et que je m’arrête donc.

 

Amaterasu, déesse du soleil et des spots de concert

 

Plein la tête

 

On va déjà évacuer ce qui saute aux yeux : The Wicked + The Divine est splendide ! Les dessins de McKelvie sont magnifiques, les couleurs de Wilson sont toujours parfaites, mettent extrêmement bien en valeur le travail de ses deux acolytes et la découpe des pages est maîtrisée de bout en bout pour amener une certaine nervosité au récit. Honnêtement, rien que pour l’aspect visuel, ce comic book vaut le coup d’être lu. Reste qu’il peut paraître étrange de placer un univers musical au centre d’une œuvre dans laquelle aucun son ne peut être transmis. Eh bien en fait ça ne pose aucun souci tant les influences des uns et des autres sont claires. En fait, j’irai même jusqu’à dire que chacun de ces dieux est un archétype. Baal est celui du rappeur, Morrigan celle de l’artiste qui veut absolument être perçue comme underground, Amaterasu est une chanteuse pop exubérante à la Lady Gaga, Sakhmet est un clone de Rihanna et Lucifer est tellement calquée sur la période Thin White Duke de David Bowie (en plus de son androgynie travaillée) que le chanteur est carrément cité ! Les références à la pop culture pleuvent, tout comme celles sur la mythologie. Je devrais même dire sur LES mythologies puisque, comme vous l’avez compris, les figures divines utilisées dans The Wicked + The Divine sont issues de plusieurs cultures à travers le monde (culture celtique, phénicienne, Egypte antique, chrétienté, shintoïsme…). C’est d’ailleurs la diversité qui frappe le plus (tant elle semble improbable) et qui nous amène à nous rendre compte qu’elle vient en support d’une vraie diversité dans les personnages également. Je ne me souviens pas d’un comic book avec autant de femmes badass, d’origines représentées, de sexualités représentées également puisqu’on a des personnages aussi bien hétéros qu’homos ou bi. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est encore trop rare dans les œuvres de fiction.

 

Le délire de Baal ne vous rappelle-t-il pas étrangement celui de Kanye West ?

 

Le paradoxe de Laura

 

Pour amener son lectorat dans ce monde peuplé de déités, Gillen a eu la bonne idée de lui faire suivre un personnage extérieur, ou plutôt semi-extérieur : Laura, une très grande fan des dieux, surtout d’Amaterasu. C’est donc un personnage charnière qui n’a qu’un pied dans ce monde et le découvre en même temps que nous, bien qu’elle en connaisse les moindres potins rapportés par la presse. Malheureusement, c’est également le seul intérêt de notre guide. Laura est tellement obsédée par les dieux du Panthéon qu’elle n’a finalement pas vraiment de personnalité ou, du moins, pas d’autres caractéristiques que son fanatisme. Et c’est là que le bouquin devient machiavéliquement génial : quasiment tous les reproches qu’on peut lui faire se retournent en points forts lorsqu’on y réfléchit bien. Oui, Laura est un personnage simple, peu profond, à qui l’on a envie de mettre des claques toutes les trois phrases mais quand on y pense, pourquoi a-t-on cette envie ? Parce qu’elle nous rappelle les fans écervelés qu’on voit pourrir les trending topics de Twitter ou qui nous affligent quand Le Petit Journal nous les montre, pleurant, parce que leur idole leur a touché la main. Elle nous paraît ridicule au même titre que ces gens qui existent pourtant bel et bien. Et je peux me tromper mais je pense que Gillen a fait cela intentionnellement, qu’il veut l’utiliser pour critiquer à sa façon ces comportements excessifs avant de la faire évoluer et d’en faire un personnage plus intéressant. Ce qu’il commence d’ailleurs à faire très vite, notamment dans une scène d’engueulade entre Laura et ses parents, mise en images d’une façon très intéressante. Au lieu de nous imposer une dispute familiale, Gillen laisse le soin à McKelvie de faire passer la tension du moment pendant que les dialogues nous sont épargnés, remplacés par des réflexions que Laura adresse au lectorat et dans lesquelles on comprend qu’elle prend la mesure de la bêtise de sa réaction. Le livre est bourré de bonnes idées de mise en scène comme celle-ci, certaines très marquées comic book (comme la page de la renaissance de Lucifer), d’autres qu’on attendrait plus dans une série TV (comme la scène de recherche d’informations sur Ananke).

 

Laura se rend compte qu’elle est une tête à claques

 

Sur le même principe du faux point faible, on a le name-dropping excessif, le manque de repères, le fait qu’on soit un peu perdu et l’impossibilité de savoir dans quel sens va partir le récit dans les chapitres suivants, à tel point qu’on prie pour qu’il ne se plante pas. C’est frustrant, certes, mais on sent que c’est voulu et ça aiguise tellement notre curiosité que l’on se retrouve, à la fin de ce premier acte et malgré le plot twist assez surprenant, à avoir plus l’impression d’un manque que d’un besoin de se poser pour réfléchir à ce qu’on a lu. Seul vrai point faible du titre : son inégalité. Comme je vous l’ai dit, il y a des scènes vraiment inventives et mémorables. Le souci, c’est qu’en comparaison de celles-ci, les autres souffrent davantage de leurs petits défauts ou même de leur normalité. C’est ainsi qu’on se retrouve avec quelques longueurs et quelques enchaînements un peu maladroits à mon sens. Reste que The Wicked + The Divine est un titre qui traite de sujets aussi divers que la religion, l’appartenance, le déterminisme, la destinée, le fanatisme, le star system ou encore la recherche d’identité. L’occasion pour Gillen de prouver une fois de plus qu’il est l’un des artistes de comic books les plus capables, surtout lorsqu’on touche au moins en partie aux thèmes récurrents de l’adolescence.

 

TL;DR

 

The Wicked + The Divine, soutenu par ses qualités graphiques hallucinantes, trompe son apparente légèreté et simplicité pour traiter de thèmes plus profonds et installer un univers qu’on a hâte de voir évoluer, tout en craignant un faux pas. Même si The Faust Act souffre de quelques longueurs, j’ai hâte de lire la suite.

 

The Wicked + The Divine – Vol. 1 : The Faust Act | Image Comics | 9€

5 Comments

  • Reply
    Kyra
    14 Jan 2015 7:52

    Il faut que je jette un oeil à tout ça !

    • Reply
      Gizmo
      15 Jan 2015 3:41

      Tu me donneras ton avis 😉

  • Reply
    Yon
    04 Sep 2015 3:01

    Amaterasu c’est clairement Florence de Florence + the Machine, pas Lady Gaga, tss tss !

    • Reply
      Gizmo
      04 Sep 2015 3:59

      Maintenant que tu le dis, c’est vrai que ça se tient 🙂

Répondre à Kyra Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *