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Mars ou le mythe des envahisseurs

Mars Attacks

Si il y a une planète pour laquelle les terriens ont une fascination toute particulière, c’est Mars. La planète rouge a acquis un statut très particulier dans la culture populaire. Littérature, cinéma, jeux vidéo, Mars est au coeur de nombreux médias culturels, de La Guerre des Mondes à Doom, en passant par l’iconique Mars Attacks! Pourquoi cette planète, pourtant si différente de la nôtre, est-elle devenue le moteur du mythe des envahisseurs? Qu’est-ce qui a rendu Mars plus présente que Vénus ou Mercure dans la culture populaire? Retour sur l’origine du mythe martien.

En 1898, l’auteur britannique Herbert George Wells publie le roman The War of the Worlds (La Guerre des Mondes). Ce livre de science-fiction est l’un des premiers à aborder le thème aujourd’hui récurrent de l’invasion de la Terre par une civilisation extra-terrestre technologiquement supérieure. À une époque où le voyage spatial et l’exploration de Mars n’existent pas encore, H.G. Wells est un pionnier dans la création du mythe des martiens envahisseurs. Un imaginaire littéraire qui repose pourtant sur les observations des astronomes.

La lunette utilisée par Schiaparelli pour observer Mars à l'Observatoire de Brera, Milan.
La lunette utilisée par Schiaparelli pour observer Mars à l’Observatoire de Brera, Milan.

La ligne rouge

20 ans avant la publication de La Guerre des Mondes, l’astronome italien Giovanni Schiaparelli est directeur de l’Observatoire de Milan. Depuis plusieurs années, il s’intéresse beaucoup à l’observation des planètes, et en particulier de Mars. Il a décelé à travers sa lunette astronomique de nombreuses formes à la surface de la planète rouge: il nomme terra les formes les plus claires qu’il associe à des continents, et mare les formes sombres qu’il associe à des mers. Il s’attribue également le droit, en tant que découvreur de ces régions, de nommer chacun des continents et des mers qu’il observe sur Mars. Il dresse ainsi une cartographie très précise pour l’époque de la géographie martienne.

Sur cette image prise depuis la Terre par Wayman, Mars apparaît bien petite dans l'objectif du télescope. La présence de la Lune permet de se rendre compte de la difficulté de l'observation des surfaces planétaires à cette distance.
Sur cette image prise depuis la Terre par Wayman, Mars apparaît bien petite dans l’objectif du télescope. La présence de la Lune permet de se rendre compte de la difficulté de l’observation des surfaces planétaires à cette distance.

En 1877, Mars est en opposition: la Terre et Mars sont au plus proche sur leurs trajectoires respectives, permettant aux observateurs de voir Mars très lumineuse dans le ciel et ce durant toute la nuit. C’est l’année idéale pour observer la surface de la planète rouge et poursuivre la cartographie des lieux. Durant ses observations, Schiaparelli remarque d’étranges lignes droites à la surface de Mars, reliant les mers en traversant les continents. Schiaparelli les nomme canali, dont la traduction donnera le terme canaux. Il en dessine des dizaines sur sa carte, un réseau de droites qui s’entrecroisent, souvent doubles et parallèles et se rejoignant pour former des noeuds.

Carte de Mars dessinée par Schiaparelli en 1877. Au-delà des noms donnés aux "mers" et "continents", ce sont surtout les lignes droites qui ont intriguées les astronomes du monde entier.
Carte de Mars dessinée par Schiaparelli en 1877. Au-delà des noms que Schiaparelli a attribué aux « mers » et « continents », ce sont surtout les lignes droites qui ont intrigué les astronomes du monde entier.

La publication de la carte de Mars contenant des canaux est un pavé dans la mare pour les astronomes du monde entier. Schiaparelli a profité de conditions d’observations favorables et d’un télescope de qualité pour déceler ces détails extrêmement intriguants. Dans le monde entier, les astronomes vont tenter de confirmer les observations de Schiaparelli en cherchant à leur tour à voir ces fameux canaux martiens. Ces lignes droites vont être détectées dans d’autres observatoires, notamment en France ou aux Etats-Unis. Certains astronomes vont même parvenir à déceler de nouveaux canaux et enrichir la carte de Schiaparelli. Des centaines de lignes droites se dessinent sur les cartes les plus complètes, mais leur origine est pourtant toujours un mystère.

Carte de Mars dessinée par Lowell en 1895. Les canaux observés y sont numérotés.
Carte de Mars dessinée par Lowell en 1895. Les canaux observés y sont numérotés.

Nous venons en paix

Percival Lowell, un astronome américain, a une théorie pour expliquer ces canaux. Il les a observé lui-même dès 1894 à Flagstaff en Arizona. Un tel réseau de canaux, réguliers et couplés, ne peut être que artificiel. Il aurait été creusé par une civilisation martienne très avancée dans le but de faire circuler l’eau depuis les mers ou les calottes polaires vers les régions les plus désertiques de la planète. Un réseau titanesque pour lutter contre la sécheresse sur une planète visiblement en train de mourir à petit feu. Et une prouesse technologique, car rappelons que sur Terre à cette époque, le canal de Suez s’est creusé en 10 ans après des efforts colossaux, et sa longueur atteint 193 kilomètres… les canaux martiens sont longs de plusieurs milliers de kilomètres. A la fin du XIXème siècle, les astronomes ont sous les yeux les traces d’ouvrages d’une civilisation dont la technologie dépasse de loin celle des terriens.

Pour creuser des canaux sur Mars, l'artiste Frank R. Paul imagine en 1949 des excavatrices à l'énergie atomique.
Pour creuser des canaux sur Mars, l’artiste Frank R. Paul imagine en 1949 des excavatrices à l’énergie atomique.

Tous les éléments sont en place pour faire naître le mythe des envahisseurs martiens. Une civilisation technologiquement supérieure, capable de creuser des canaux d’irrigation par centaines sur la surface de leur planète, et qui visiblement souffre d’une sécheresse importante à l’échelle planétaire… Quelle autre alternative leur reste-t-il? Probablement ont-ils également des télescopes, observant les planètes alentours. Ils ont certainement remarqué depuis longtemps cette planète voisine, dont la couleur bleue est visible de très loin. Et probablement sont-ils en train d’élaborer un plan pour venir chercher l’eau là où elle se trouve en abondance: sur Terre…

mars invasion

C’est d’ailleurs ce scénario qui est décrit dans La Guerre des Mondes par H.G. Wells en 1898. Celui d’une civilisation tellement avancée que sa technologie surpasse celle des terriens, faisant de ce conflit interplanétaire une guerre aussi dérisoire que celle qui pourrait exister entre les humains et les fourmis. Une poignée de martiens suffit à détruire une grande partie de l’humanité, arrivant sur Terre à bord de robots tripodes gigantesques armés de rayons de chaleur faisant s’enflammer les chairs. Le mythe du martien est né, et il perdure encore aujourd’hui dans notre culture.

Les tripodes de la Guerre des Mondes représentent la supériorité technologique des martiens sur les humains.
Les tripodes de la Guerre des Mondes représentent la supériorité technologique des martiens sur les humains.

L’erreur est martienne

Bien entendu, à l’époque de Schiaparelli et Lowell, tous les astronomes ne croient pas à l’existence des canaux. Certains ne les voient pas à la surface, et ne les représentent pas sur les cartes qu’ils dessinent. Les canaux martiens sont l’un des plus prolifiques débats dans la communauté astronomique. La preuve formelle de leur absence sera apportée par la sonde Mariner 4, lors du survol de Mars en 1965. Sur les images, aucun canal, aucune structure artificielle, rien que des cratères et un désert planétaire. Les canaux martiens, vus et soutenus par Schiaparelli et Lowell ne sont en réalité qu’une erreur d’interprétation de leurs observations, erreur qui s’est propagée chez une multitude d’autres astronomes influencés par les résultats présentés.

Les 21 images prises par la sonde Mariner 4 ne montrent aucune trace de canal. La vision de Schiaparelli prend fin en 1965.
Les 22 images prises par la sonde Mariner 4 ne montrent aucune trace de canal. La vision de Schiaparelli prend fin en 1965.

Essayer de distinguer des détails aussi minimes sur la surface de Mars à travers l’oculaire d’un télescope depuis la Terre entraîne le cerveau à imaginer certaines structures : des lignes à la place d’une série de tâches, des droites qui se matérialisent entre deux régions de contrastes différents, les explications ne manquent pas. De nombreuses illusions d’optique existent aujourd’hui pour nous rappeler de ne pas nous fier à ce que nous voyons. Finalement, si nous avons aujourd’hui tant de martiens belliqueux dans notre culture, c’est probablement car un astronome trop confiant a cru voir des lignes droites sur la planète rouge. Remercions-le pour ce faux pas.

 seulsurmars

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