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[Critique] Ex Machina

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Il y a quelques mois de cela sortait le trailer d’Ex Machina. Un trailer intriguant, plein de promesses, laissant entrevoir un bon film de science-fiction, intelligent, bien écrit et à budget important. Le fait qu’il soit la première réalisation d’Alex Garland – le mec qui a écrit notamment Sunshine et 28 Jours plus tard – n’a fait qu’ajouter à mon impatience. Et maintenant ça y est, je l’ai enfin vu ! Est-ce que ça valait l’attente ? Clairement, non. Et comme j’en ai un peu marre de voir partout que c’est un film génial, je me suis dit que c’était le bon moment pour me remettre aux critiques de films.

 

Ex Machina nous propose de suivre Caleb (Domhnall Gleeson), un jeune développeur travaillant pour un équivalent fantasmé de Google nommé Bluebook, lors d’une expérience unique et excitante. En effet, il a été choisi par son patron Nathan (Oscar Isaac) pour soumettre sa toute nouvelle intelligence artificielle aux fameux tests de Turing. C’est un très grand moment puisque personne n’a encore réussi à créer une IA capable de passer ces tests. Pendant une semaine, Caleb aura donc une séance par jour pour évaluer Ava (Alicia Vikander), la fameuse IA, dans la demeure high-tech isolée de Nathan où elle a été construite.

 

« J’aimerais tellement que tu me visites l’intérieur. Tiens, regarde, je te le montre. »

 

Les personnages aussi sont artificiels

 

Dans le synopsis, vous avez déjà « rencontré » trois des quatre personnages qui cohabitent chez Nathan, le dernier étant Kyoko (Sonoya Mizuno), une « mystérieuse » jeune femme asiatique qui sert à la fois de servante et d’esclave sexuelle au maître des lieux. Parlons de lui justement. Nathan est donc le PDG de Bluebook, une société qui s’est développée à partir du succès de son moteur de recherche qui est maintenant utilisé par 94% de la population. Présenté comme un génie, il refuse à première vue les clichés du geek en faisant beaucoup de sport et en adorant faire la fête et picoler… Mais il le fait seul. Lorsqu’il reçoit Caleb, il essaie de faire tomber la relation employeur/employé pour instaurer une fausse amitié à la manière des managers d’aujourd’hui et, comme eux, il ne supporte pourtant pas quand l’employé ne fait pas (ou ne dit pas) exactement ce qu’il veut. Caleb, lui, est un cliché ambulant. Il est développeur (certains disent programmeur ou encore programmateur parce qu’ils nous prennent pour des thermostats j’imagine), jeune, chétif, n’a aucun charisme, aucune expérience avec les femmes et est foncièrement inadapté sur le plan social. Gros travail d’écriture sur ce coup… Heureusement, le personnage est sauvé par des connaissances plutôt solides (même si ça ne l’empêche pas de dire de sacrées conneries) et un amour de la logique qui le rendent un peu plus sympathique. Ava est… Bien designée. Déjà, c’est un bon point. Pour le reste, c’est une IA fraîchement créée (dans un corps robotique féminin) donc elle a beaucoup à apprendre. On va dire qu’elle est au départ caractérisée par sa curiosité. Kyoko, elle, ne sert qu’à servir son maître, réagit très peu, ne comprend rien et n’a quasiment aucune expression faciale. « OHLALA JE ME DEMANDE BIEN COMMENT CA SE FAIT ! PEUT-ETRE Y AURA-T-IL UN TWIST AVEC UNE REVELATION SURPRENANTE (ou pas) ! * WINK WINK *»

 

La première partie d’Ex Machina sert à nous faire découvrir les « règles » de l’endroit. Toutes les portes du bâtiment sont fermées et doivent être ouvertes avec un badge personnel. Certaines sont accessibles à Caleb, d’autres non. Les communications avec l’extérieur sont impossibles pour des raisons de sécurité et la plupart des pièces n’ont même pas de fenêtres donnant sur l’extérieur. Nathan attend des discussions décontractées de la part de son employé mais veut tout de même connaître son ressenti sur l’évolution des tests même si chaque session avec Ava est filmée et suivie en direct par le dirigeant. Les téléviseurs ne diffusent pas FoxNews ou la BBC mais les feeds des caméras de surveillance, permettant ainsi au jeune développeur invité d’observer la créature qu’il doit tester en dehors de leurs sessions quotidiennes. Lors des coupures de courant, un générateur prend le relais et un protocole de sécurité verrouille toutes les portes et empêche l’activation de celles-ci par les badges personnels. On le comprend donc bien : Ex Machina est un huis clos dans un endroit immense. Cela vous paraît contradictoire ? C’est normal, ça l’est. Mais ce n’est vraiment pas le plus dérangeant dans ce film.

 

Notez la subtilité de l’imagerie utilisée pour asseoir le rapport de domination entre Nathan et son employé

 

Je ne spoile pas en disant que Nathan n’est pas un personnage franchement agréable. Si ses sautes d’humeur et ses pics d’agressivité lors de la première partie du film ne suffisent pas à vous le faire comprendre, la bande annonce elle-même le présentait comme un être manipulateur, cachant ses véritables motifs. Il aime avoir le contrôle mais bizarrement il aime aussi se mettre une tellement grosse mine (à l’alcool) qu’il ne se souvient plus de ses soirées. Question logique de personnage, on repassera. Il faut dire qu’il aurait été plus compliqué d’écrire une fin sinon. Toujours est-il qu’il joue avec Caleb et Ava, l’un parce que c’est son employé et l’autre parce que c’est sa création. Le personnage avec lequel il est le plus cruel est bien entendu Kyoko, à laquelle il n’épargne rien et qu’il traite comme une chienne. Encore une fois, « ON SE DEMANDE BIEN POURQUOI DIS DONC ».

 

C’est pas un film sur les robots industriels ?

 

Ces personnages caricaturaux sont à l’image du film : lourd, cliché, manquant de finesse et, finalement, indigeste. Le thème de l’IA est récurrent dans les œuvres de science-fiction et il est normal et même salutaire qu’il soit aujourd’hui remis au goût du jour alors que le spectre de cette technologie pointe de moins en moins timidement le bout de son nez. Il est alors du devoir des œuvres de ce type de soulever des interrogations et de mettre en branle chez le spectateur un système de questionnement englobant à la fois le status quo et les évolutions futures possibles. Sauf que ce n’est pas du tout ce que fait Ex Machina : il ne pose pas de questions mais assène ses propres vérités au travers d’un regard lourdement influencé par la religion. A tel point même que les ponts grossiers entre la Bible et le film nous étouffent. Le décompte des jours, le nom de l’IA, les références à l’homme cherchant à être Dieu, les « twists » moralisateurs, la culpabilisation des désirs humains, la nature vile des femmes (si, si, je vous jure, soit elles sont inutiles, soit elles sont manipulatrices, c’est flagrant), tout témoigne d’une éducation judéo-chrétienne un peu trop intégrée qui donne à l’ensemble un goût désagréable.

 

On peut ajouter à cela la lourdeur du propos, appuyée par une ribambelle de références en mode « name dropping » articulées de façon à ce que le tout ait un sens qu’il aurait de toute façon pu avoir en utilisant juste le bon sens et la logique. Mais non. Il faut croire que ça fait mieux de jeter en pâture du Prométhée, du Barbe Bleue, du Pinocchio et j’en passe. Si je n’ai rien contre les films verbeux, je ne peux que reprocher à Ex Machina de l’être artificiellement. Quelques réflexions pourraient être intéressantes si elles n’étaient pas noyées dans une logorrhée absolument absurde sous prétexte d’être « scientifique ». Non messieurs les artistes, un scientifique n’a pas pour but d’étouffer la masse sous le poids de ses mots trop nombreux mais a à cœur, au contraire, d’expliquer les choses le plus justement possible, avec des mots qui ont du sens et le plus succinctement qu’il peut le faire. On pourrait objecter à cela que le principe du test de Turing est d’utiliser des conversations pour déterminer si une intelligence est artificielle ou non sauf que ces échanges lourds le sont d’autant plus lorsque Nathan et Caleb ne conversent qu’entre eux.

 

– Merde, je sais pas comment faire pour montrer que Nathan Bateman est un psychopathe
– Oh bah Patrick Bateman dansait en tuant. On n’a qu’à le mettre en mode « YOLO je danse ! », ça passera.

 

Même ce qu’il fait bien, Ex Machina finit par le gâcher. Prenons l’exemple de l’esthétique. Habitué à travailler avec Danny Boyle, Alex Garland a réussi à imposer une esthétique particulière bien que minimaliste, relativement oppressante de par son apparente perfection aseptisée, à l’image d’un hôpital futuriste en quelque sorte. Bien sûr, ce décor aurait gagné à bénéficier d’une meilleure gestion de la lumière mais passons, c’est joli. Toujours est-il que jamais Garland ne délite réellement son univers là où il aurait pu servir de support de narration. Il va même jusqu’à commettre l’erreur de laisser son esthétisme desservir ses personnages en oubliant que le rapport de séduction se base sur l’idéal fantasmé et non sur un voyeurisme non assumé. Ceci explique que la relation Caleb/Ava, en plus d’être très infantilisante pour le premier de par son traitement scénaristique, soit si ratée. Autre exemple (avec un mini spoiler attention), la scène d’ouverture est censée nous faire croire que Caleb a gagné une loterie mais sa mise en scène qui se veut intelligente dévoile par son côté surveillance tech surdéveloppée que tout ça n’est pas un hasard mais bien voulu par Nathan comme on l’apprendra plus tard dans le film.

 

Quant au reste de la réalisation, certains choix sont tout simplement incompréhensibles. Le film est découpé en chapitres représentant chacun une session avec Ava. Cela aurait eu un sens si chaque session apportait de réelles avancées, des thèmes nouveaux, des développements narratifs clé. Mais il ne s’agit finalement que d’un découpage temporel sans intérêt. Car oui, il y a un gros problème de développement de l’histoire. On croirait que le scénario développe une multitude de pistes intéressantes sans s’en rendre compte tant il passe à côté. Plusieurs fois, j’ai cru un questionnement sur le point d’être traité pour finalement me retrouver avec du vide. Dans ce cas, on se dit qu’il pourrait au moins fonctionner en tant que divertissement. Malheureusement, là non plus ça ne fonctionne pas. Personnellement, je réfléchis beaucoup pendant les films donc je ne peux pas dire que je me sois ennuyé, j’étais plutôt frustré par le manque d’ambition et même d’intérêt d’un film que j’attendais tant. Par contre, ma copine s’ennuyait tellement qu’elle a plusieurs fois soupiré et n’attendais qu’une chose : le générique de fin.

 

Les écrans résument bien ma réaction par rapport au film

 

TL;DR

 

Ex Machina n’est pas un bon film de science-fiction. Ses pseudo-questionnements usés jusqu’à la moelle, son manque d’ouverture, la lourdeur de sa moralisation, le manque d’attention porté aux détails esthétiques, la fin nullissime et complètement impossible… Le film sent au mieux le réchauffé, au pire le verdict religieux. Sous prétexte de science-fiction, Alex Garland livre ici son plus mauvais scénario, tout juste digne d’un film de série B lui-même copié sur un autre qui ne satisfera aucun fan de SF et n’ouvrira la porte aux questionnements éthiques, métaphysiques et existentiels qu’aux spectateurs arrivant pour la première fois dans une salle de cinéma. Dommage mais c’est complètement raté : une véritable Apocalypse sur le thème de la Genèse.

Réflexions Artificielles

Ne vous laissez pas berner par son trailer, Ex Machina n'est ni un bon film de SF, ni un prétendant au titre de meilleur thriller psychologique de l'année (ou de la semaine). Une esthétique travaillée ne suffit pas à rattraper un scénario lourd, une surreprésentation de la religion gênante, des personnages clichés et un résultat somme toute très décevant.

3
Note finale:
3

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2 Comments

  • Reply
    Kyra
    11 Juin 2015 6:36

    Un ami a adoré mais en lisant ton article je vois que tout ce que je n’aime pas dans le cinéma est listé ^^ donc, je le verrai en streaming.

    • Reply
      Gizmo
      12 Juin 2015 10:35

      Bah écoute, j’attends ton avis parce que j’en ai parlé avec un ami qui l’a vu aussi et il n’a repéré aucune référence religieuse (ce qui me parait impossible oO ).

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