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L’archétype du dandy dans le jeu de rôle

Dorian Gray (film de 2009)

Depuis le XIXème siècle, la figure du dandy a été auréolée de qualificatifs si nombreux et paradoxaux que nous ignorons toujours s’il s’agit d’une appellation positive ou négative. Le dandy ne serait-il qu’un obsédé de l’apparence, un être superficiel ? Dans un premier temps, revenons sur la naissance du terme « dandy » et sur ses représentations dans la littérature. Nous verrons ensuite comment définir le dandysme dans notre société contemporaine, que ce soit dans la littérature, le cinéma ou même dans la mode. Enfin, nous verrons comment le dandy est actuellement représenté dans le jeu de rôle sur table. 


 

Le dandysme littéraire

 

Ce furent les écrivains qui figèrent la figure du dandy dans l’Histoire. Il faut rappeler qu’au XIXème siècle, la France et le Royaume-Uni sont marqués par la croissance d’une bourgeoisie industrielle dont les valeurs matérialistes vont de pair avec un conformisme moral. C’est dans ce contexte que le dandysme est né car, comme l’écrit Baudelaire dans Le Peintre de la vie moderne, le dandy est un révolté, une figure complexe souvent réduite au culte de l’apparence. Or, le dandy rejette les valeurs de la bourgeoisie qui encourage le culte de l’argent. Baudelaire dit que « le dandy n’aspire pas à l’argent comme une chose essentielle […] ». Que ce soient les valeurs aristocratiques en perdition ou les valeurs de la bourgeoisie, le dandy les rejette. Ce sont ses idéaux qui le caractérisent, non ses avis politiques. Pour leur culte de l’élégance et de la beauté, des personnalités comme Beau Brummel ou même des auteurs comme Oscar Wilde et Barbey d’Aurevilly ont été eux-mêmes qualifiés de dandys.


Oscar Wilde


Chez Balzac : C’est dans La Comédie Humaine que le lecteur rencontre pour la première fois de nombreux dandys littéraires qui hantent salons et boulevards parisiens et dont les deux caractéristiques principales sont de faire preuve de cynisme et de romantisme. Eugène de Rastignac et Henri de Marsay affichent leur dandysme comme un fleuret contre la société.

Chez Wilde : Lorsque l’auteur publie Le Portrait de Dorian Gray en 1890, le dandy est une figure célèbre dans les arts et les lettres. Dorian est un nanti instruit et soucieux de son image mais qui se révèlera un bien sombre personnage (prostituées, alcool, drogues, meurtres).


Le Portrait de Dorian Gray, de Oliver Parker (film de 2009)


Chez Proust : Dans A la recherche du temps perdu, le personnage de Charles Swann est un dandy discret. Il est soucieux de son apparence mais n’est en rien comparable aux personnages flamboyants de Balzac et Wilde.


Un amour de Swann, de Volker Schlöndorff (1984)


Chez Baudelaire : Le dandy n’est pas un personnage sulfureux mais un observateur froid. Il contient sa révolte dans l’ironie et exprime son idéal de culture et d’excellence à travers ses vêtements qui sont la preuve de son amour pour l’Art.

Chez Stendhal : « Julien était un dandy maintenant, et comprenait l’art de vivre à Paris ». Cette phrase du Rouge et le Noir insinue que le héros romanesque du XIXème siècle pour réussir dans le grand monde doit être un dandy. D’un côté nous avons le beau Julien Sorel de l’autre le chevalier Charles de Beauvoisis qui prend Julien Sorel sous son aile tout comme Lord Henri Wotton prend Dorian Gray sous la sienne dans Le Portrait de Dorian Gray.

Chez Fitzgerald : A la sortie en 1925 de Gatsby le Magnifique, le personnage de Jay Gatsby est rapidement associé au terme de dandy. Roman acclamé par la critique, il en ressort néanmoins que le héros est déprécié par beaucoup du fait de son identité de nouveau riche, symbole de la prospérité américaine des années 20.


Jay Gatsby dans Gatsby le Magnifique, de Baz Luhrmann (film de 2013)

 

Le dandy dans la société contemporaine

 

Chez Easton Ellis : Lorsqu’il a écrit American Psycho, Bret Easton Ellis s’est volontairement servi de la figure du dandy pour construire le personnage de Patrick Batman. Obsédé par son apparence et le grammage de sa carte de visite, c’est un serial killer qui ne pense qu’à sa carrière et ses costumes. Comme dans Le Portrait de Dorian Gray, le dandy devient effrayant. Chez Camus : Dans son essai L’Homme révolté, Albert Camus traite du dandy qui, selon lui, incarne une quête de valeurs, un idéal de vie. C’est la volonté de l’homme en révolte de retrouver une éthique qui donne un sens à l’existence humaine.

Dans la culture contemporaine :

Dans la littérature actuellement, qu’appelle-t-on un dandy ? Dans Le Désir d’être un volcan, Michel Onfray dit : « La plus belle réussite d’un dandy est l’emploi de son temps […], Son chef-d’œuvre est sa liberté ». Dans Le Dandysme : la création de soi, Daniel Salvatore Schiffer écrit « Le dandysme est méconnu. On le confond avec la simple élégance alors qu’il est bien plus ». Dans La Ligue de Prométhée, l’on retrouve ces caractéristiques dans le personnage de Sebastian Wells, l’archétype du nanti. Fils de lord, instruit, charismatique, il fume, fréquente les soirées mondaines et passe son temps à se divertir : « Je préside à des débats, j’organise des soirées. Je joue à toutes sortes de jeux ». Dans Apocalypsis, Maximilian Von Abbetz est un être orgueilleux qui abuse de son pouvoir de séduction. Se caractérisant aussi par un humour noir et un cynisme tranchant, il incarne la part sombre du dandy. De nombreux romanciers avouent s’être inspirés du dandysme pour construire des personnages. Par ailleurs, au cinéma, que ce soit dans Yves Saint Laurent, Cloud Atlas (le musicien Robert Frobisher, l’avocat Adam Ewing), Coco Chanel, Le Portrait de Dorian Gray, Gatsby le Magnifique, ou encore Brideshead Revisisted (Lord Sebastian Flyte), les dandys existent encore sous les yeux du spectateur contemporain.

De nos jours et dans la mode :

« La mode se démode, le style jamais », Coco Chanel. Si Brummell (1778-1840), l’un des premiers dandys, est considéré comme l’inventeur du costume moderne, ce sont pourtant les couturiers d’aujourd’hui qui permettent au terme de survivre. Ne dit-on pas d’un homme bien habillé qu’il est élégant ? Le dandysme et l’élégance étant liés, Karl Lagerfeld, Jean-Paul Gaultier ou encore Pete Doherty sont qualifiés de dandys par les médias. Par exemple, Dandy Magazine présente George Clooney, Vincent Cassel ou encore Christophe Michalak comme des dandys. Le site Les Nouveaux Dandys, lui, se concentre sur les significations traditionnelles du terme.

 

Le dandysme dans le jeu de rôle

 

Les personnages :

Comment le dandy est-il représenté dans le jeu de rôle ? N’est-il qu’un personnage mondain ou le représentant d’un idéal à atteindre ? Dans Kadath – Aventures dans la Cité inconnue, plusieurs fiches personnages sont fournies avec le livre dont le « dandy ». Ses trois atouts principaux sont bretteur, chance insolente et musique des sphères livresques, et un descriptif nous informe sur sa personnalité : « Par tous les dieux, que la vie peut être ennuyeuse et monotone ! Même la Paris pétillante des années folles a fini par me lasser. Les salons littéraires se ressemblent tous, aucune joute verbale digne de ce nom, aucun bretteur n’a su me battre aux duels que j’ai provoqués pour sortir de ce spleen infernal […] J’ai trouvé refuge dans les drogues diverses […] Il me revient le goût d’écrire, de me battre, de m’ébattre aussi ». Orgueilleux et bagarreur, nous retrouvons l’une des facettes que le terme dandy englobe. Dans Chroniques Oubliées par contre, le dandy est associé à la réflexion plutôt qu’à l’action et l’aventure. Sur internet, de nombreux scénarios proposent aussi d’interpréter un dandy, comme dans Achéron où l’on peut jouer Desmond E. Harrington estampillé personnage « dandy ». Dans Cthulhu – Les Masques de Nyarlathotep, Shaun Harland est un écrivain dandy collectionneur, et dans une aide de jeu de la rubrique Bâtisses et Artifices de Casus Belli, le descriptif d’un jeune garçon propose une vision plus torturée du dandy : « Chevelure blonde ondulée, yeux bleus, dandy à la tenue achronique. Nul ne connait vraiment ce jeune homme que l’on voit souvent déambuler sans but entre les tombes et dans les catacombes, toujours à l’aube et à la tombée du jour. Il gratte le sol de sa canne, inspecte les tombes ». La canne est par ailleurs un accessoire typiquement dandy et le personnage de Kadath en possède une également. Mais si ces caractéristiques respectent notre vision traditionnelle du dandy, il n’est pas toujours perçu positivement. Ainsi dans Animonde, une fiche personnage référence deux handicaps, « naïf » et « dandy ».

Les joueurs :

Parmi nos amis rôlistes, plusieurs se définissent comme des dandys. Nous allons ici mettre en exergue leurs points communs et les références culturelles qu’ils partagent. Première chose étonnante : partageant un esprit critique sur la société, ils aspirent tous à un idéal où la culture aurait une importance de premier plan dans l’éducation. Admiratifs de Corto Maltese (voyageur charismatique par excellence) ils éprouvent aussi un intérêt pour le personnage de Sherlock Holmes, notamment dans les jeux de société Sherlock Holmes Détective Conseil et Mr. Jack. Ecrire, échanger, débattre… Ces points communs qu’ils partagent se rassemblent autour d’un constat : que ce soit à travers un style gothique, bohème, hipster ou punk, ils ont trouvé leur manière d’exprimer leur singularité mais aussi leur refus du capitalisme, de la conformité et de l’idéal actuel de beauté masculine. Selon l’un d’eux, « l’état d’esprit du dandysme ne se définit plus obligatoirement par l’élégance  ».

Et pour vous que signifie le mot dandy ? Qui sont les personnes qui, pour vous, sont des dandys ?



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