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[Critique] Gaz de France

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Et si on commençait l’année avec une petite sortie ciné ? Ça me paraît une bonne idée. Pourtant, je ne vais pas vous parler de Star Wars VII : The Force Awakens pour plusieurs raisons. D’abord il est très probable que vous l’ayez déjà vu (dans le cas contraire, vous ne comptez sans doute pas le voir) ; ensuite, je dois déjà le défendre tous les jours au bureau, je n’ai pas envie de le refaire ici ; enfin et surtout, Chase l’a déjà très bien fait et sans spoiler. Et puis voilà, une première critique de l’année c’est aussi l’occasion de faire découvrir un film dont vous n’avez certainement pas entendu parler. A ce moment-là de l’intro, vous vous dites que je tire sur la corde et qu’il serait temps de me recentrer sur le film du jour au lieu de pondre ces lignes fumeuses. Sauf que voilà, je reste un peu dans le thème puisqu’on va parler de Gaz de France, le premier « vrai » long-métrage de Benoît Forgeard – vous l’aurez compris, « arrêter les blagues nulles » ne fait pas partie de mes résolutions 2016.


 

Dans un futur proche, les français en ont soupé des présidents de la République experts qui ne résolvent pourtant pas leur problèmes. Ils élisent donc à la tête du pays un homme qui se présente comme l’anti-élite et qui répond au pseudonyme de Bird (Philippe Katerine). Oui, un pseudonyme parce que Bird est un chanteur et qu’il n’a finalement été élu que grâce à sa chanson, écrite pour la campagne et qui a rencontré un franc succès. Seulement voilà, plusieurs mois ont passé et l’homme est devenu le Président avec la cote de popularité la plus basse de l’Histoire. Son responsable de la communication, Michel Battement (Olivier Rabourdin), organise alors une réunion secrète dans les sous-sols de l’Élysée pour remédier à cette situation.

 

Fuite inspirée

 

Avec sa galerie de personnages un peu losers allant de la petite fille qui n’a rien à faire là au robot (joué par Forgeard lui-même) censé résoudre toutes les crises humaines à lui seul en passant par son créateur Pierre Caron (un scientifique en fauteuil roulant joué par Darius) sans oublier le président lui-même, Gaz de France tire sur le poétique avec des accents d’absurde. Attention toutefois à ne pas vous tromper. Contrairement à ce qui m’a été dit avant l’avant-première, il ne faut pas penser que le public ciblé soit le même que pour les films de notre cher Quentin Dupieux. Y a-t-il de l’absurde ? Assurément et même un peu de surréalisme mais ils sont ici au service de la force évocatrice poétique et non de l’humour comme le non-sens et le no reason si chers au réalisateur de Rubber. Cette comparaison incongrue ne peut que nuire au premier long de Benoît Forgeard en créant des attentes chez le spectateur qui n’ont aucun lien avec l’objet de son œuvre. Bien sûr, on rit devant le film mais on n’en sort pas en se disant « quelle hilarité ! » mais plutôt avec un sentiment de voyage agréable.

 

Les personnages ayant pour mission de redresser la popularité du Président
Les personnages ayant pour mission de redresser la popularité du Président. (En jogging, Benoît Forgeard, le réalisateur)

 

Gaz de France est un film rempli de bonnes idées, qu’il s’agisse de la réalisation, du scénario ou même des décors – tous créés virtuellement puisque les scènes ont été tournées sur fond vert, ce qui donne la possibilité au réalisateur de créer des espaces gigantesques et riches avec relativement peu de moyens financiers. L’articulation même du film, qui nous emmène du rez-de-chaussée du palais de la présidence française jusqu’à son plus profond sous-sol (le -3) étage par étage, agit parfaitement comme une métaphore de l’échec inexorable de l’entreprise des protagonistes alors que la fin du compte-à-rebours approche, tout en permettant une respiration bienvenue pour le spectateur en lui évitant la lassitude d’un décor unique. De même, la juxtaposition d’objets farfelus censés être des cadeaux de dirigeants étrangers et de portraits d’anciens présidents bien réels (incluant François Hollande) à l’étage -2 permettent, en enracinant le film dans le réel, d’augmenter le sentiment de décalage. Je ne vais pas tout citer pour que vous puissiez découvrir tout cela en salles mais je terminerai en attirant l’attention de ceux qui ont déjà vu le film sur la déliquescence qui se produit sur les écrans du -3, renvoyant à la situation extérieure supposée et étrangement liée sur le plan temporel à la charge du robot.

 

Allô maman, bobo

 

Pourtant, j’aurais voulu apprécier plus ce premier « vrai » long-métrage (« vrai » car Forgeard avait sorti en 2011 une compilation de 3 de ses courts sous la forme d’un long nommé Réussir Sa Vie). Ce qui sautera directement aux yeux des spectateurs, c’est un petit côté bobo autocentré qui malheureusement gâche un peu le plaisir lorsqu’il se dévoile et donne à voir l’entre-soi cultivé dans certaines formations artistiques (je ne donnerai pas de noms mais la formation du réalisateur me conforte dans cette idée…). Ensuite, il y a quelques problèmes liés, je pense, au manque d’expérience sur le format et qui sont donc bien entendus excusables mais qu’il convient de ne pas cacher sous le tapis. En premier lieu et de façon assez prévisible, on notera quelques problèmes de rythme. J’ai bien conscience que ce jeu sur la lenteur est volontaire et la plupart du temps ça fonctionne. Toutefois, il fait parfois ressortir les petits côtés amateurs que l’auteur affectionne, certes, mais qui tranchent avec l’esthétique travaillée et le soin apporté au reste du film en général. D’autre part, certains passages ne sont pas assez poussés et finissent par ressembler à une manière qu’aurait trouvée le film pour présenter ses excuses (ce qu’on pourrait appeler des apologetic moments) comme la scène de l’invasion du palais par les anti-Bird qui essaie tellement peu qu’on doit en fait attendre la scène suivante pour comprendre que ce sont des contestataires.

 

Les Anti-Bird... Ah...
Les Anti-Bird… Ah… On dirait plutôt des figurants pour le prochain clip du président mais soit.

 

Rigueur pas si mortis

 

Mais je ne voudrais pas finir sur une note négative puisque, vous l’aurez compris, j’aimerais vous conseiller d’aller voir Gaz de France (sinon je ne vous en parlerais pas) plutôt que de l’enterrer vivant. C’est pourquoi je voudrais saluer notamment deux points dont le premier est la constance. C’est assez rare de voir ça dans un premier film (oui je te vise Lost River, caricature de premier film que tu es) et un bon symbole est le désamorçage systématique des moments forts attendus. Qu’il s’agisse du robot dont on attend la charge et qui finalement ne sert à rien, du discours du président où l’on attend la révélation délicate de l’histoire inventée par l’équipe qui finalement n’arrive jamais (je tairai la raison de ce « manque » et surtout ses conséquences pour garder la surprise) ou même le twist final, Benoît Forgeard s’amuse continuellement à nous frustrer et ça fonctionne très bien. Il n’y a aucun doute sur le fait que le tournage s’est déroulé dans la rigueur la plus absolue (ce qui a d’ailleurs été confirmé après la séance par le réalisateur) pour que le script soit respecté, les situations mises en place le plus sérieusement du monde afin que la poésie et même l’humour prennent convenablement.

 

Cette rigueur est d’ailleurs à mettre en parallèle avec le sujet du film qui est moins la politique que ses faux-semblants permanents. La Mère des disciplines est ici abordée par son biais théâtral et souverainiste qu’on lui connaît – surtout en France pour le second point. L’auteur nous a révélé que s’il était fasciné par tout ça depuis l’enfance, c’est bien l’information de l’embauche de scénaristes de séries TV pour la campagne de Barack Obama qui lui avait donné envie d’en faire un film. La révélation de l’importance primordiale du storytelling – mot qu’il utilise d’ailleurs lui-même dans la bouche de son personnage communicant – a mis à jour chez beaucoup ce qu’ils soupçonnaient et c’est le cas de M. Forgeard. Et là encore, on peut noter la constance du film jusqu’au dernier étage, ce bunker construit pour qu’on puisse y vivre 800 ans, qui participe de fait au storytelling en révélant qu’il n’y a que 80 jambons disponibles, soit clairement pas assez pour que le contrat soit rempli, soulignant ainsi le bullshit permanent subi par les citoyens du monde. N’y voyez cependant pas un message, ce n’est pas le but de Gaz de France. Il s’agit de voyager aux limites de l’absurde et de se divertir. Ce contrat là est bien rempli.

 

"Des Paroles et des actes" n'a qu'à bien se tenir ! La relève est plus... Décalée.
« Des Paroles et des actes » n’a qu’à bien se tenir ! La relève est plus… Décalée.

 

TL;DR

 

Gaz de France est un film rempli de poésie absurde qui nous apprend à aimer finalement plus les personnages que l’on pensait secondaires que le Président pourtant campé par un Philippe Katerine en grande forme. Si l’on n’est ni dans la fable politique ni dans le non-sens purement humoristique, le film fait mouche grâce à une multitude de bonnes idées. Néanmoins, le spectre de l’autocentrisme ainsi que quelques erreurs imputables à une première expérience dans le monde du long-métrage altèrent quelque peu le plaisir ressenti pendant le visionnage. Est-ce une raison pour bouder le bébé de Benoît Forgeard ? Clairement pas ! N’oublions pas que le cinéma est aussi une affaire de militantisme et qu’un film original même imparfait (pour peu qu’il ait suffisamment de qualités tout de même) est quelque chose de rare, trop rare, qu’il faut respecter et si possible encourager. A titre personnel, j’ai hâte de voir la suite de la carrière du réalisateur.

Gaz noble

Poétique et inspiré, Gaz de France mérite selon moi la curiosité des amoureux du cinéma même s'il n'est évidemment pas exempt de tout défaut. Benoît Forgeard signe là un premier film solide qui laisse présager d'un avenir des plus intéressants.

6.5
Note finale:
6.5

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1 Comment

  • Reply
    Sergent Tobogo
    18 Jan 2016 1:11

    Je partage complétement votre avis.
    Film imparfait, mais tellement plus intéressant que beaucoup de films « parfaits » sans originalités

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