Tests & Critiques

[Test] Enterre-moi mon amour (Switch)

Enterre-moi Mon Amour

Lancé sur Android et iOS il y a un peu plus d’un an, c’est à l’occasion de sa sortie sur Switch et sur PC que j’ai pu tester Enterre-moi mon amour. Inspiré d’une histoire vraie, le postulat de base du jeu narratif de The Pixel Hunt est de suivre Nour, migrante syrienne, dans son périple vers l’Europe


[Nour]riture pour l’esprit

La thématique de la migration est un sujet délicat : qui de mieux qu’Arte pour soutenir un projet qui en parle ? Salué par la critique comme en témoignent ses nombreuses nominations / prix (dans plus de 20 événements tels que les Game Awards, l’IndieCade Europe, etc.) j’étais curieuse de mettre les mains sur cette petite production de la scène indé française, propulsée par Playdius.

Enterre-moi mon amour a pour vocation de vous montrer les expériences que peuvent vivre les migrants fuyant leur pays. Le tout à travers le prisme d’un échange de SMS qui se base sur une histoire vraie recueillie par une journaliste du Monde. C’est d’ailleurs cet échange qui explique le nom du jeu puisqu’on y apprend que « Enterre-moi mon amour » est une expression arabe qui signifie : « Je t’aime, donc je veux mourir avant toi ». Cela pose le décor d’une histoire où vous allez suivre le parcours d’une survivante, perdue dans un milieu tantôt familier et accueillant, tantôt inconnu et hostile.

Il s’agit donc d’une fiction interactive où vous incarnez Majd, un Syrien dont la fiancée Nour fuit le pays pour essayer de trouver refuge en Allemagne.

Après quelques lignes d’introduction où l’on vous explique très brièvement le contexte des migrants Syriens, vous êtes propulsé dans le jeu à travers une interface d’échange de SMS façon WhatsApp. Nour vous y envoie ses premiers messages et, en tant que Majd, vous allez devoir choisir minutieusement vos réponses pour l’aider.


Enterre moi mon amour


Prendre l’avion ou plutôt le bus ? Accepter un deal coûteux pour traverser la mer ? Où cacher sa réserve d’argent liquide ? Faire confiance à cet inconnu rencontré dans un camp de migrants ?

Selon vos conseils et réponses, le destin de Nour en sera radicalement changé, tout comme son parcours.

Son parcours, justement, vous pouvez le suivre grâce à une carte qui retrace ses endroits de passage. Depuis la Syrie en passant par la Jordanie, la Croatie, la Grèce, etc. vous allez découvrir le quotidien d’un migrant, les difficultés auxquelles il peut faire face. On réalise alors que le portrait du JT de 13h est bien loin de la réalité. L’intérêt de l’histoire est ici dans les détails : toutes ces petites choses du quotidien auxquels les migrants peuvent être confrontés, à mille lieues de l’image qu’on peut en avoir. La portée pédagogique d’un tel titre est ce qui en fait l’intérêt.

La technologie du smartphone permet l’échange de photos, d’extraits audio, de balises GPS etc. dont se sert le jeu pour rendre son histoire plus vivante et crédible. Avec son esthétique BD, cette expérience ne va pas sans rappeler celle, française également, d’Another Lost Phone. Côté gameplay néanmoins, contrairement à ce dernier, on est uniquement dans le narratif : un genre de Livre dont vous êtes le héros… à Sangatte. Le fait que les 2 protagonistes soient jeunes et utilisent le SMS pour communiquer rend les échanges très naturels et accessibles. On soulignera d’ailleurs le très beau travail d’écriture.

Enterre-moi mon amour ne véhicule pas un message politique. Il n’a pas vocation à convaincre ce tonton gênant que, non, les migrants ne viennent pas en France pour voler notre travail et profiter du chômage. Clairement, le titre ne s’adresse pas à cette frange de la population. Néanmoins, il humanise (terriblement) le quotidien de ces gens qui nous ressemblent tant et qui cherchent simplement à vivre une vie normale, en sécurité, loin des bombardements.

En somme, des gens que nous pourrions nous-mêmes devenir, demain.


Blurry me my love

Malgré tous ses prix remportés et son message d’utilité publique, Enterre-moi mon amour n’est pas dénué de défauts.

Côté gameplay : rien de bien nouveau. On est dans l’aventure narrative pure et dure. Ne vous attendez pas à un concept ébouriffant. Ce qui compte ici, c’est l’expérience humaine.


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Comptez environ 2 heure pour un « run ». Je parle de run puisque votre objectif est d’aider Nour à parvenir en Europe et à y rester. Néanmoins, vous allez probablement échouer vos premiers essais. Et c’est là que, à mon goût, le bât a blessé.

Une fois le game over arrivé, vous n’avez pas d’autre choix que de recommencer l’histoire du début. Impossible de reprendre à la dernière sauvegarde ou à une certaine étape du voyage. On aurait pourtant pu imaginer se servir des étapes marquées sur la carte pour remonter dans le temps (par exemple). J’ai été très frustrée quand j’ai été mise devant le fait accompli de me dire que j’allais devoir me refarcir toutes l’histoire pour espérer sauver le destin de Nour.

En effet, il faut préciser que les dialogues ne peuvent pas être sautés : ils sont publiés en temps réel, comme sur une véritable appli de messagerie. Il faut donc patienter entre chaque message pour répondre et faire avancer l’histoire. Si cela joue un effet dramatique très réussi lors du premier run, vous imaginez qu’au second on en perd un peu l’intérêt

Heureusement, dès mon 2è run, et en changeant quelques une de mes réponses, j’ai réalisé avec grand plaisir que l’histoire de Nour prenait un tout autre tournant. J’ai donc découvert de nouveaux embranchements du scénario (le jeu contient plus de 110 000 mots !), ce qui a gommé mon agacement. En tout cas, jusqu’à la dernière demi heure de mon second run où, là, je suis retombée dans le même schéma scénaristique que précédemment. J’ai donc subi un peu amèrement la fin que j’avais déjà vécue, et qui se déroulait identiquement malgré les choix différents que j’ai essayé de faire.

À ce sujet, The Pixel Hunt m’a répondu (et je les en remercie) :

Si, en comparaison au support mobile, le côté « méta » du jeu façon « appli de messagerie » peut se perdre un peu sur PC et Switch, heureusement la console de Nintendo permet l’affichage à la verticale. On profite alors de toute la taille de la dalle pour jouer, et on découvre avec plaisir que le tactile est présent ! On peut donc se servir de sa Switch comme d’une tablette et jouer sans les manettes.

Enfin ça, c’est quand ça se passe bien ! De mon côté, j’ai rencontré en effet quelques bugs : de temps en temps le tactile cessait de fonctionner sans raison. Il fallait alors que je reprenne mes manettes pour jouer… À tel point que j’ai fini mon premier run et fait le second entièrement à la manette tellement le système était instable… Dommage. Ajoutez à ça 3 crashs de l’appli sur 4 heures de jeu pour achever mon enthousiasme (merci les quick saves !).


Fin du voyage

Enterre-moi mon amour est une très belle fiction interactive, mais pas un très bon jeu vidéo. En tout cas, il ne faut pas l’aborder en tant que tel, au risque d’y rencontrer les mêmes frustrations que moi. De l’aveu du game designer lui-même« A chaque fois qu’il a fallu trancher entre le plaisir de joueur et l’aspect réaliste, on a opté pour ce dernier ». Vous êtes prévenus.

Une fois que l’on a accepté ce postulat, on y voit une oeuvre marquante, servie par son support et par son rythme qui nous tient en haleine. Nous restons alors pendus à cette histoire où les petits moments de bonheur côtoient les drames humains difficiles à imaginer. Et c’est en cela qu’Enterre-moi mon amour a un caractère proche de l’indispensable. Le titre remplit sa mission pédagogique de nous projeter dans la réalité de ces migrants, alors qu’on est confortablement assis dans son canapé en train de jouer. Une réflexion qui donne le tournis…

Sans jamais tomber dans le voyeurisme, le jeu frôle plutôt avec le naturalisme. Il faut dire que l’ensemble des très nombreux textes et scénarios ont été relus par la personne bien réelle qui a inspiré le personnage de Nour. Et cela nous fait mieux comprendre pourquoi tout ça a l’air si vrai…

Au prix de 5€ à peine, on regretterait presque que ce titre s’adresse de façon quasi intimiste à un public peut-être déjà sensibilisé aux problématiques de la migration ou, au moins, assez empathique pour  imaginer les souffrances humaines qu’elles cachent.

Pour conclure simplement : Enterre-moi mon amour est une oeuvre moderne dont la portée pédagogique lui ferait mériterait sa place dans le programme des collèges et des lycées. Et surtout, il est une nouvelle preuve plaisante de l’aspect culturel et historique positifs que peuvent véhiculer les loisirs numériques.


On a aimé :

  • L’écriture, naturelle et touchante
  • Le format SMS qui nous plonge dans le cœur de l’histoire
  • Le rythme qui crée la tension dramatique

On a moins aimé :

  • Malgré les quick saves, il est impossible de revenir où on le souhaite dans l’histoire
  • De même, il est impossible de passer les dialogues… ce qui rend la rejouabilité assez frustrante !
  • Bugs et crashs sur Switch

Craquez vos PO si :

  • Vous cherchez à en apprendre plus sur les conditions de vie des migrants
  • Vous aimez les fictions interactives ancrées dans le réel
  • Vous voulez soutenir un projet qui a du sens

Quittez la partie si :

  • Vous êtes plutôt à la recherche d’un FPS AAA
  • Vous ne savez pas lire
  • Vous êtes dénué de toute empathie


Enterre-moi mon amour – The Pixel Hunt – Arte – Figs – Playdius

Disponible sur PC, Switch, Android et iOS

4,99 €

CE TEST A ÉTÉ EFFECTUÉ SUR UNE VERSION FOURNIE PAR L’ÉDITEUR


Traverser la frontière du jeu vidéo

Enterre-moi mon amour est une très belle fiction interactive, mais pas un très bon jeu vidéo. En tout cas, il ne faut pas l'aborder en tant que tel, au risque d'y rencontrer les mêmes frustrations que moi. Une fois que l'on a accepté ce postulat, on y voit une oeuvre marquante, servie par son support et par son rythme.

7
Note finale:
7

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